Les chiens et les enfants : les meilleurs amis du monde ?
Comme dans «Belle et Sébastien» ou «Le Club des cinq» ? Pas si sûr, et
pourtant, les images d’Epinal, tout comme les préjugés, ont la vie dure…
En 2014, en France, l’on
dénombrait 7,3 millions de chiens. Considéré comme l’animal familial par
excellence, le chien partage le quotidien de très nombreuses têtes blondes. Quelle
relation unit nos chiens et nos enfants ? Quels sont les risques inhérents
à cette cohabitation, et comment agir en amont, pour garantir une relation
optimale ?
La famille idéale dans
l’imaginaire collectif ressemblerait un peu à ceci : une maman, un papa,
deux enfants (garçon et fille), et un chien, golden retriever ou labrador sable,
parfois aussi un chat. Dans la réalité, les familles sont multiples,
composites, leur lien à l’animal et le choix de leur chien aussi. Et dans
nombre de foyers, le drame couve. A
voir certaines vidéos, ou à écouter les propriétaires parler de leur vie de
tous les jours lors des consultations, l’on se dit même qu’au regard de toutes
les erreurs, de tout ce qu’on fait vivre à nos chiens de compagnie, il est même
étonnant qu’il n’y ait pas plus d’accidents…
Des conduites agressives qui alimentent les faits divers
Néanmoins, les conduites
agressives sont extrêmement fréquentes. Qu’elles soient le fait du chien de la
maison, du chien de voisins ou d’amis, ou de chiens en divagation. Et chaque
tragédie fait les unes des journaux. Car les médias semblent adorer ces faits
divers mettant en scène des chiens et des enfants. Cynophobie ? Goût du
sensationnalisme ? A chaque fois, fleurissent les mêmes débats sur la
dangerosité de certaines races ou morphologies.
Toujours dans l’imaginaire
collectif, certaines races paraissent d'ailleurs plus prédisposées que d’autres pour la
vie en famille. Mais bien des paramètres entrent en ligne de compte pour faire
de Médor le « bon chien de famille » dont tout le monde rêve. Qualité du travail de
l’éleveur, sélection de géniteurs stables, génétique optimale, familiarisation
et socialisation menées avec professionnalisme et intelligence : autant
d’éléments à prendre en considération avant d’adopter un chien pour la famille.
Joël Dehasse note («Tout sur
la psychologie du chien») : «Le gène
de l’amitié n’existe pas. Contrairement à ce que l’on écrit dans de nombreux
livres sur les races de chien, que telle ou telle race est l’amie des enfants,
ce qui est un mensonge grave, il n’y a pas de prédisposition génétique à aimer
les enfants, chez aucun chien. C’est l’apprentissage en période d’imprégnation
(socialisation primaire) qui permet de mettre en place les mécanismes cognitifs
de reconnaissance des enfants en tant que (type) ami. Certaines races ont
certainement une prédisposition à faire cet apprentissage plus facilement et
plus longtemps et avec moins d’interactions (ludiques et sociales) que
d’autres ; là se situe en effet une prédisposition génétique ».
Les expériences précoces,
comme la familiarisation aux enfants, mais aussi le respect de l’individualité
du chien, la satisfaction de son besoin de dépense physique et psychique, la
manière dont tout le monde vit autour de lui, son tempérament : chaque
chien est différent, chaque famille aussi, et toutes les alliances ne sont pas
judicieuses. Un chien hyperactif et réactif, sensible à la nourriture,
présentera inévitablement plus de risques pour l’entourage
« enfants » qu’un chien plus placide, peu sollicité par les
ressources du quotidien. Mais, ne l’oublions jamais : même le plus flegmatique
des chiens peut, un jour, irrité par la troupe de bambins rassemblée autour de
son panier, prendre fortement ombrage de ce tohu-bohu, se défendre et mordre. Tous
les chiens, poussés dans leurs ultimes retranchements, sont susceptibles de
faire usage de leur unique (et redoutable) arme : leur mâchoire…
Quelques statistiques
Sur le site de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), l’on peut lire : «On ne dispose à l’échelle mondiale d’aucune donnée sur l’incidence des
morsures canines bien que des études permettent de penser qu’elles sont
responsables de dizaines de millions de blessures chaque année. Aux États-Unis
d’Amérique par exemple, environ 4,5 millions de personnes sont mordues par
un chien chaque année. Parmi celles-ci, près de 885 000 consultent un
médecin; 30 000 ont recours à une chirurgie réparatrice; 3 à 18%
contractent des infections et entre 10 à 20 décès sont à déplorer. Dans
d’autres pays à revenu élevé comme l’Australie, le Canada et la France, l’incidence
et les taux de mortalité sont comparables.»
Joël Dehasse («Tout sur la
psychologie du chien ») souligne quant à lui que «les enfants semblent mordus deux fois plus que les adultes (du
moins pour les morsures présentées à un médecin)». Il ajoute que «les enfants sont mordus à la maison dans 65%
des cas» (leur maison ou celle du chien, donc d’amis), et qu’«à la maison, l’enfant mordu était seul
(c’est-à-dire sans adulte) dans 100% des cas avec le chien. Sur la voie
publique, l’enfant était seul dans 94% des cas». Enfin, si les adultes sont
généralement mordus aux membres (jambes et bras), les enfants le sont à la tête
et au visage, avec les dégâts que l’on peut aisément imaginer. Sans compter les
cas, peu fréquents fort heureusement, de prédations sur enfants, parfois en
« bandes organisées » (ganging).
Un enfant, des
enfants… Quelles morsures, et pourquoi ?
Avant d’aller plus loin, il
faut évoquer une réalité, dont peu de parents semblent conscients : pour le
chien, un bébé de 7 mois, un enfant de 2 ans, de 7 ans ou un pré-adolescent
sont des « espèces » différentes. Or tous les chiens n’ont pas été
familiarisés à toutes ces catégories d’enfants, et tous n’ont pas la souplesse
et la stabilité émotionnelles pour s’adapter sereinement à ces diverses étapes
du développement du petit humain. Les spécialistes peinent à s’accorder sur
l’âge à partir duquel un enfant ne devrait jamais être laissé seul avec un
chien : les plus optimistes parlent de 6-8 ans, les plus réalistes (à mon
avis), de 12 ans. L’on sera tout particulièrement vigilant avec les tout-petits,
ceux qui commencent à crapahuter : certains chiens peuvent vouloir les
bloquer, comme ils le feraient avec un chiot, voire les prédater, les prenant
pour des petites proies qui gigotent.
Chiens et enfants : une relation qui peut être belle et enrichissante, si les adultes assument leurs responsabilités
Crédit photo : Marie Majkowiez - toute reproduction interdite
Pourquoi un chien peut-il être
amené à mordre un enfant ? Pour de multiples raisons… Qui vont de la protection
de certaines ressources importantes pour le chien à des douleurs ou pathologies
liées à l’âge (chez le chien vieillissant) ou à un environnement d’excitation
permanente. L’on peut citer, en vrac : les chiens harcelés, qu’aucun
adulte ne vient protéger, les chiens qui se réfugient dans un recoin d’un
meuble et que l’on vient déloger de force, les chiens que l’on enlace alors
qu’ils n’apprécient pas ce genre de contacts, le chien qui dort et sur lequel
l’enfant trébuche ou chute, le chien soudain effrayé, ou dont on ne respecte
pas le lieu de couchage. Très fréquent : le chien que l’on a laissé sous la
table lors du goûter des enfants. Un gâteau tombe, chien et enfant se
précipitent pour le ramasser… Et hop, survient une morsure avec son cortège de
dégâts : enfant potentiellement traumatisé, chien peut-être euthanasié. La nourriture, celle des enfants mais aussi la
gamelle du chien, sont des sources courantes de conflits et de conduites
agressives. Il convient de redoubler de vigilance à ces moments-là.
Enfin, l’on peut aussi évoquer
tous ces chiens de famille qui, passant en tout dernier, après tous les humains
du foyer, souffrent d’ennui et d’un manque d’activité. Certains, pour éviter
l’«hyperboring syndrom» (et combien de chiens en sont atteints…), peuvent se
découvrir un penchant soudain, et bien pénible, pour la protection des
ressources ou des déplacements, et se muer en tyrans domestiques. Et puis,
évidemment, comme les enfants, les chiens ont besoin de limites claires, d’un
cadre de vie bien posé, logique et cohérent : dans un milieu
perpétuellement flottant, le chien peut s’arroger des prérogatives qui, de fil
en aiguille, vont finir par menacer toute la famille, les enfants en premier.
Une question de connaissance
L’éducation des enfants à la
communication canine et aux gestes à adopter face à un chien menaçant est de
plus en plus fréquente, notamment dans les écoles. Ces cours, dispensés par des
spécialistes, sont certes indispensables, mais ils ne suffisent pas. Souvent,
lors des consultations pour des troubles du comportement, l’on se dit que c’est
d’abord les parents, les adultes, qu’il faudrait éduquer à la vie avec un
chien. Expliquer, tout simplement, comment le chien perçoit l’enfant, et
vice-versa, quels sont les risques liés à leur cohabitation, en fonction de
l’âge de l’enfant mais aussi du tempérament du chien, lister les risques et la
manière de les anticiper.
Nombre de parents délèguent à leurs enfants le soin
de promener le chien, de le nourrir, les laissent jouer seuls dans le jardin
sans surveillance. L’on devrait aussi sensibiliser les adultes au fait qu’avant
3 ans, un enfant ne perçoit pas le danger et les signaux émis par le chien. Et
que sa petite taille et sa fragilité rendent les éventuelles morsures et
griffures d’autant plus redoutables (voir à ce sujet les vidéos en bas
d’article). Il n'est pas rare qu'un chien mordeur ait agi en état de légitime défense (eh oui !), et dans tous les cas, les vrais responsables de l'agression sont les adultes, qui n'ont pas su anticiper, créer un climat de confiance, gérer le chien et les enfants...
Mais alors, quelle relation entre le chien et l’enfant ?
Un enfant ne devrait jamais
être laissé seul avec un chien. Il ne devrait pas non plus être chargé de s’occuper
de lui, de le promener, de le soigner. Ce qui n’empêche pas qu’en compagnie d’un
adulte, il puisse prendre part à tous ces éléments de la vie du chien. Des
caresses, des jeux, des activités physiques : le chien et l’enfant, sous
réserve qu’un des parents soient toujours là pour superviser, peuvent partager
des moments de grande joie et de grande complicité. Les parents responsables
vont aussi apprendre à leur enfant que le chien est un être vivant, sensible,
avec des besoins spécifiques, un animal qu’il faut respecter, ne pas provoquer,
ne pas embêter.
Les bénéfices de
la relation entre le chien et l’enfant
Auprès de son chien, l’enfant
va apprendre la vie, la maladie, la mort, le deuil, mais aussi l’affection
mutuelle avec un « autre » fondamentalement différent.
Identification, projection, miroir : l’animal, de l’avis des psychologues,
représente un vrai plus dans la construction de la psyché de l’enfant. L’on dit
aussi que les enfants qui vivent avec des animaux seraient moins sujets aux
allergies.
Enfin, le chien pourra constituer
un confident, d’autant plus précieux qu’il ne jugera pas. Dans tous les cas, la
présence d’un chien aux côtés d’un enfant, quand ils sont l’un et l’autre respectés
et protégés par des adultes responsables, ne peut être qu’un plus, un véritable
enrichissement permanent.
Marie Perrin
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