jeudi 5 juin 2014

Eduquer dans le respect : une évidence, pourtant bien malmenée...

Vertement décriées par tout un versant du monde cynophile, les méthodes positives sont souvent pointées du doigt comme inefficaces, au mieux douces et dingues, au pire « dangereuses ». Pourquoi ?


Ne nous voilons pas la face : dans le monde de l’éducation canine, deux écoles s’affrontent. Les tenants des méthodes positives contre les partisans des méthodes coercitives. Idéologie contre idéologie pourrait-on dire. Les uns crient au laxisme, les autres à la maltraitance, les détracteurs des méthodes positives n’hésitant d’ailleurs pas à soutenir qu’elles ne s’appliquent qu’à des chiens d’un naturel docile, et qu’en réalité, elles relèvent d’une sorte de « non éducation », d’un phénomène de mode un peu «néo-baba »…
 
« Positif » ne veut pas dire « laxiste »

Tout d’abord, il faut absolument battre en brèche une idée reçue : éducation positive rimerait avec « laisser tout faire ». Les « pros » de la coercition  sont encouragés dans leur opinion par les agissements de certains particuliers : séduits par un discours a priori facile, ces propriétaires confondent allègrement « positivité » avec permissivité. Le résultat ? Des chiens « no limit », exemples parfaits pour alimenter le discours des « antis ».  
 

Or, osons l’affirmer : « positif » ne veut pas dire « laxiste ». Eduquer positivement, c’est… éduquer ! Non, les tenants de l’éducation positive ne laissent pas leurs chiens mordre le facteur, détruire leur appartement, tirer à la laisse ou manger dans leur assiette ! Et oui, les défenseurs de l’éducation positive apprennent les bonnes manières à leur chien, mais ils le font sans crier, sans vociférer, sans frapper, en respectant la réalité éthologique de leur animal. Car, rappelons-le, punir n’apprend pas à bien se comporter. Punir sanctionne, c’est tout, et encore faut-il que la punition survienne au bon moment, et qu’elle « parle » au chien. Confronté à des corrections verbales et physiques à la chaîne, des corrections qui, dans son univers, ne font pas sens, le chien n’apprend qu’à tenter d’éviter les coups et le courroux. Bien pire, il finit par se résigner, cesse de réfléchir, se « soumet » aux diktats.
 
Et chez les humains


Les méthodes coercitives appliquées aux enfants sont aujourd’hui bannies. L’on connaît les risques qu’encourent les enfants éduqués par des brimades, des coups, des punitions, bref des maltraitances à répétition. L’on sait en effet que la violence engendre la violence, mais aussi la peur et des troubles du comportement et de la relation sociale. Quel parent accepterait aujourd’hui que son enfant soit giflé, malmené, frappé par son professeur ? Pourtant, personne ne s’interroge sur les violences faites aux chiens. Ainsi, nombre de propriétaires continuent de confier leur compagnon à quatre pattes, que par ailleurs ils disent chérir de tout leur cœur, à des éducateurs « virils », adeptes des colliers à pointes, des décharges électriques et des contraintes à tout-va. Est-ce là le chemin idéal vers une cohabitation harmonieuse ? Vers une confiance réciproque ?
 
Nos chiens, pas plus que nos chats, nos chevaux ou nos enfants, ne méritent qu’on leur inflige pareil traitement. C’est barbare, mais aussi contre-productif. Un chien brutalisé à répétition risque un jour de se retourner contre son tortionnaire: il y aura été acculé, agira en état de légitime défense, mais aucun avocat ne viendra défendre sa cause. Il sera catalogué « dangereux », puis euthanasié sans autre forme de procès…
 

Ignorer les mauvais comportements, récompenser les bons


Evidemment, comme dans toute éducation, il convient de poser des interdits et de mettre des règles en place. Ce sont là des étapes indispensables, bases de la vie sociale, mais qui doivent se faire dans le calme, avec fermeté et sans violence, d’une manière compréhensible pour le chien. Les tenants de l’éducation positive vont indiquer à leur chien ce qu’ils aimeraient lui voir accomplir, puis le féliciter pour sa coopération. En cas de comportement non désiré, ils vont interrompre l’animal, puis réorienter son action vers quelque chose d’acceptable.

Bien sûr, il est difficile d’éduquer sans punir : ainsi, l’ignorance intentionnelle est un excellent moyen de faire comprendre à l’animal qu’il a dépassé les bornes. Les insistants seront mis à l’écart du groupe : rien de tel pour se calmer ! D’ailleurs, si l’on prend la peine de regarder les chiens interagir, l’on se rend compte que souvent, ils choisissent de se détourner d’un congénère qui les ennuie plutôt que d’entrer en conflit pour des broutilles. Une attitude extrêmement limpide entre chiens, dont nous pouvons nous inspirer pour communiquer efficacement avec nos compagnons.
 

En méthode positive, l’on va aussi apprendre au chien à gérer sa frustration et ses émotions, à ne pas exiger un contentement immédiat de ses désirs. Tout cela se fera au rythme de l’animal, selon ses capacités, son caractère, son tempérament.
 

Enfin, là où les partisans de la coercition rééduqueront le chien « grogneur » (par exemple) avec force secouages et placages, les comportementalistes-éducateurs, formés aux méthodes respectueuses, réfléchiront à ce qui a pu conduire ce chien-ci à menacer. Surtout, ils envisageront le grognement comme un élément « sain », dans le sens où le chien a prévenu - il aurait en effet pu mordre directement. En outre, n'oublions pas que les rééducations musclées présentent plusieurs dangers, et notamment celui d’induire un passage à l’acte plus rapide: l’animal risque d’apprendre à zapper la phase « menace ».
 
 
Cette année, un « professionnel du chien », maître ès cruautés, annonce sa venue en Suisse : César Millan, dont les émissions outre-Atlantique diffusent à grande échelle les méthodes antédiluviennes, propageant par ailleurs un discours nauséabond (et fallacieux), qui justifie(rait) à lui seul toutes les violences faites aux chiens : ceux-ci ne poursuivraient qu’un but, « dominer » leurs propriétaires* (dans le sang si possible). Il semblait important, dans ce contexte, de rappeler que la brutalité n’est pas une fatalité mais un choix, réfléchi et consenti, avec moult conséquences dommageables, tant pour le chien que pour le maître. Et que de vraies solutions existent, éthologiquement convenables (mais certes moins spectaculaires !), pour apprendre au chien à vivre en société humaine, paisiblement et sans conflits.
 
 
Marie Perrin
 
* Le mythe de la dominance entre chiens et humains fera l’objet d’un article ultérieur