lundi 5 décembre 2016

La gamelle, lieu de tous les abus

De tous les animaux domestiques, le chien est le seul que l'être humain s'autorise à ennuyer, à titiller, voire à brutaliser en permanence au moment du nourrissage. Mais pourquoi ? Et quel peut être l'impact de telles pratiques sur l'animal ? Décryptage et analyse. 

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Le nourrissage, rarement un moment de bien-être pour le chien...
 
Donner puis reprendre la gamelle, approcher une fausse main pour «tester» les réactions de l'animal, mettre sa main dans ses croquettes pendant qu'il mange, ou rester dans les parages, s'approcher, ajouter quelques croquettes ou morceaux de fromage (toujours pendant qu'il mange) : autant de conseils et pratiques courants dans l'univers cynophile. Educateurs, moniteurs, comportementalistes : pas un seul spécialiste du chien ne semble épargné par ces méthodes qui, personnellement, me paraissent terriblement abusives.
 
En effet, qui irait reprendre son foin à un cheval, ses carottes à une chèvre, ses grains à une poule, ses boulettes "fraîcheur" à un chat ? Je vous promets que si j'embête ma poule Chili lorsqu'elle picore, elle risque de se fâcher tout rouge ! Et je ne vous parle pas de mes biquettes ! Cela pourrait me valoir un bon petit coup de cornes ! Pourtant, je suis censée le faire subir à mes chiens, et eux sont censés obtempérer...
 
Au nom d'une nécessaire toute-puissance du propriétaire sur son inféodé.
 
En effet, nos chiens, eux, subissent en permanence ce genre de traitements. Pire, la pression sociale nous y encourage, sous-entendant que si nous n'arrivons pas à maîtriser nos chiens sur ce point précis, ils ne vont pas tarder à prendre le pouvoir... N'y aurait-il pas là un vieux relent de dominance mal digérée ?  L'idée sous-jacente d'une nécessaire toute-puissance du propriétaire sur son infortuné inféodé ? J'ose l'affirmer : mais oui, bien sûr !
 
Et même les chantres de l'éducation positive, prétendument acquis à la théorie de la non dominance interspécifique, y vont de leur couplet : il n'est certes pas question de reprendre sa gamelle au chien pendant qu'il mange afin de vérifier s'il est bien docile (nous ne sommes pas des bourreaux !), juste d'ajouter de temps en temps une ou deux bouchées +++, que le chien accepte que l'on puisse se promener à côté de lui, l'observer, le déranger. Soit, ce n'est pas aussi violent, mais dans le fond, qu'est-ce que cela change ?
 
N'y a-t-il pas urgence à déconstruire ce mythe et à laisser enfin nos chiens manger en paix ?
 
Dans la vie d'un chien, la nourriture est un élément fondamental, une ressource extrêmement importante. La preuve : la plupart du temps, ce sont croquettes et friandises qui nous servent à conditionner les chiens. De surcroît, nos chiens domestiques passent généralement leurs journées dans l'ennui le plus strict, et l'un de leurs grands (et courts) plaisirs quotidiens, c'est précisément cette gamelle qui, soudain, vient combler leurs papilles désœuvrées.  Et nous, que faisons-nous ? A la place de respecter ce temps de bien-être, nous en profitons pour les stresser... Un stress tel certains chiens vont en devenir susceptibles, parfois mêmes agressifs. A qui la faute ? Au propriétaire, aux donneurs de leçons inconséquents, pas au chien bien sûr. Pourtant, c'est lui qui va encore payer l'addition. Encore et encore.
 
Ce qui est donné est donné, jamais repris...
 
J'ose ici l'affirmer : pour qu'un chien soit paisible à la gamelle, il faut le laisser tranquille. C'est le b.a.-ba. Contrairement à l'humain, qui aime prendre ses repas en commun, le chien aime être pour lui, dans son coin. La présence d'un congénère (ou d'un humain) peut générer énormément de stress et d'inquiétude. Mes chiens mangent sans moi, chacun de son côté (voire séparément). Personne ne les embête jamais, c'est formellement interdit. Ce qui est donné est donné, jamais repris, et ils peuvent prendre le temps qu'ils veulent pour renifler, choisir leur aliment, mastiquer, ingérer (ils sont au barf). Embêter un chien pendant qu'il mange est à mon sens un acte de maltraitance, (un parmi tant d'autres, malheureusement)...
 
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Laisser nos chiens manger tranquillement, à leur rythme...

Et avec des enfants ?
 
L'on me rétorquera : mais j'ai des enfants, mon chien ne doit surtout pas être agressif à la gamelle ! A quoi je répondrai ceci : mais que font des enfants autour de la gamelle de votre chien ? Et que fait la gamelle de votre chien au milieu de la pièce de vie, avec des enfants à proximité ?
J'ajoute que si votre chien est susceptible avec la nourriture, l'ennuyer encore et encore, jour après jour, risque de le rendre encore plus méfiant et protecteur. A moins que vous ne réussissiez à le faire capituler, c'est une option… Mais cela n’empêchera pas qu'un jour, peut-être le jour de trop, votre chien se rebellera et mordra un ou votre enfant. Il est de votre responsabilité de veiller à ce que tout se passe bien.
 
Un protocole de nourrissage strict, anticiper, sécuriser
 
Comment agir alors ? Anticiper et sécuriser. Avec un chien sensible sur la nourriture, mettre en place un protocole de nourrissage strict (le protocole des comportementalistes pour les chiens sensibles sur la nourriture). Et toujours veiller lorsque chien et enfants sont ensemble en présence de nourriture (goûter, gâteaux, etc). Un chien reste un chien : c’est aux humains adultes de se montrer responsables. La gamelle du chien doit être inaccessible pour les enfants, ailleurs que dans la pièce principale, et le chien nourri à heures fixes, sans les enfants (tout au plus peuvent-ils accompagner l'adulte pour apporter la gamelle au chien). La gamelle ne sera pas laissée au chien, même vide, et l'on évitera le libre-service, qui peut générer théâtralisation et protection de ressource.
 
Limiter le stress, aux effets toxiques
 
J’ajoute qu’un chien qu’on laisse tranquille au moment où il est mange est un chien qui développe moins de stress, et l’on connaît aujourd’hui tous les effets délétères du stress sur l’organisme. Et que le jour où, pour une raison X ou Y, en pleine urgence, il faudra (peut-être) retirer un aliment au chien, celui-ci se laissera très certainement faire. Pour quelle raison ? Tout simplement parce qu’il aura confiance, qu'il ne sera pas sur la défensive, qu'il n'aura pas eu l'habitude de devoir se méfier. Quand il y a urgence, il y a urgence, un chien perçoit la nature extraordinaire de l'événement et s'y adapte.
 
Enfin, comme dirait Laurence Bruder-Sergent (Vox Animae), les chiens savent pertinemment quand on les teste, et quand on est honnête et sincère avec eux. Et cela fait toute la différence : à trop tester tout le temps, l'on obtient l'effet inverse de celui escompté. Si je veux que mon chien me respecte, il faut peut-être aussi que je commence par le respecter lui, dans ses besoins et dans son intégrité. Que je le laisse un peu tranquille, vivre sa vie de chien, sans qu'il m'ait systématiquement dans les pattes.
 
Des chiens dociles : la norme ou l'exception ?
 
Bien sûr, tout le monde a, ou a eu dans son entourage des chiens extrêmement dociles et paisibles, qui laissaient les enfants jouer avec leur nourriture, qui partageaient bien volontiers, n'étaient jamais agacés parce qu'on passait près d'eux tandis qu'ils rongeaient un os. Nous n'imaginons pas à quel point dans leur grande majorité, nos chiens sont en réalité bienveillants. Ils savent s'adapter à nos petites lubies, supporter et subir nos actes pas toujours très éthiques. Est-ce une raison pour clouer au pilori les chiens plus épidermiques ? Surtout si l'on se dit qu'en réalité, c'est peut-être eux qui ont raison... La question mérite à mon sens réflexion...
 
Marie Perrin

mardi 1 novembre 2016

Lorsque toutou vieillit...

Vivre avec un (ou des) vieux chien(s)

Adopter un chiot, c’est s’engager à l’accompagner durant toute sa vie. L’aider à grandir harmonieusement, à vivre sereinement, puis à vieillir le plus paisiblement possible.

Le Larousse définit la vieillesse comme la « dernière période de la vie normale, caractérisée par un ralentissement des fonctions » ainsi qu’une « diminution des forces physiques et un fléchissement des facultés mentales ». Chez nos compagnons, le vieillissement est fonction des races, et des individus. Ainsi, l'on dit généralement que les chiens de petites races vivent plus longtemps que les chiens de grandes races. Partant de là, souvent leur vieillesse débute plus tard. Enfin, d'un point de vue général, dans nos contrées, l'espérance de vie moyenne des chiens est estimée à environ 13 ans.

Comment l’âge affecte-t-il nos chiens ?

Les vieux chiens dorment beaucoup, ils ont besoin de repos, de tranquillité. Certains sujets deviennent irritables. Ils ne supportent plus les manipulations, agressent par peur ou par douleur. Ils peinent généralement à maintenir leur homéostasie sensorielle (équilibre interne). Ils peuvent être atteints de troubles cognitifs, comportementaux et émotionnels, souffrir de désorientation, de déambulations, de stéréotypies. Parfois, leur rythme veille-sommeil est profondément altéré. Certains chiens redeviennent « malpropres », vocalisent, se livrent à des destructions. Enfin, bien sûr, leur santé est impactée par l’âge : avec les années, vient le cortège des maladies liées à la sénescence, de l’arthrose à la démence.

Que peut-on faire pour son vieux chien ?

Avant tout : être attentif à ses besoins ! Il faut prendre le temps de le regarder, de l’observer, de comprendre ce qu’il vit et d’adapter ses gestes, ses attitudes et ses demandes. Il apprend plus lentement, semble parfois ne plus se souvenir. A l'instar des êtres humains, les vieux chiens peuvent être atteints de dépression.
 
Certes, un vieux chien passe beaucoup de temps dans les bras de Morphée, mais est-ce une raison pour le négliger ? Il marche plus lentement, voire très lentement (en mode escargot), mais est-ce une raison pour le sortir moins ? Un chien vieillissant a besoin d’occupations, besoin d’éprouver du plaisir – manger, se promener, s’allonger au soleil. Il a également besoin d’être protégé, qu’on lui garantisse une stabilité émotionnelle. Il faut ainsi veiller à lui éviter tout stress inutile, être empathique, bienveillant, avoir avec lui des interactions positives. Les vieux chiens méritent d’être entourés de toute notre affection, de tous nos soins et de tout notre amour.

Mon expérience personnelle

Parmi les chiens qui ont jalonné ma vie, Tamara, Comète et Netsuké, trois petites croisées épagneul de la même famille (deux soeurs et leur nièce / fille), ont vécu jusqu’à des âges vénérables, puisque deux d’entre elles sont parties à l’aube de leur 17e anniversaire, la troisième allait avoir 18 ans. Pour Netsuké néanmoins, je continue, quatre ans plus tard, à m’interroger, avec chagrin. Ai-je tout fait pour elle ? Ai-je réellement été une bonne humaine pour elle ? Ai-je bien fait de la laisser aller au bout du bout ? N’aurais-je pas été plus généreuse, plus humaine, en décidant d’abréger ses souffrances après son avant-dernière attaque cérébrale ?
 
C’est un poncif et pourtant : qu’il est dur de voir vieillir nos compagnons tant-aimés ! En même temps, c’est en réalité une chance qui nous est offerte, un don de l’existence. Ma première saarloos, Véda, a 12 ans depuis peu. Combien de chiens n’ont pas eu la chance d’atteindre ce bel âge, emportés par la maladie, un accident, une mauvaise fortune ? Certes, mais quand même : une vie de chien, que ça passe vite ! Un jour on est là, à leur apprendre le monde, on rit de leurs facéties et de leur maladresse, et le lendemain on se réveille aux côtés d’un animal diminué, qui avance cahin-caha vers l’hiver de son existence.
 
Je partage actuellement ma vie avec trois chiens vieux, ou vieillissants. Véda et Namasté, mes Saarloos, ont respectivement 12 et 9 ans. Ambra, la petite tchèque, a soufflé ses 10 bougies en octobre. Qu’est-ce que cela implique chaque jour,  pour eux, pour moi, pour nous ? Quels changements se sont opérés peu à peu ? Et comment s’organise notre quotidien, avec quelles contraintes, quels impératifs, quels questionnements ?

 mouss_bebeJe fais la connaissance de Namasté, 2 mois. Aujourd’hui, Namasté est un beau « presque-papy » de 9 ans, de plus en plus agréable à vivre, intelligent, tendre et bienveillant
 
Un quotidien modifié, parfois même bouleversé, des renoncements…

Ce qui compte, c’est de savoir s’adapter. Ralentir le rythme. Renoncer à certaines activités. C’est ainsi que je ne pratique plus le canicross comme avant. Namasté, malgré ses 9 ans, peut encore m’accompagner courir, parfois même harnaché, mais passé 5-6 kilomètres, il s’épuise. Tant pis, pour les entraînements avec les copains, je me passe de chien, même si je suis toujours à la traîne du groupe !
 
Les sorties quotidiennes elles aussi se modifient peu à peu. Plus fréquentes, elles doivent être adaptées à chaque chien, au niveau individuel d'énergie de chacun - Véda a besoin de nombreuses petites balades de courtes distances, alors que Namasté ou Ambra ont encore pas mal d'énergie. Je suis également très souvent chez le vétérinaire, ou chez l’ostéopathe. Les longs voyages ne sont plus guère possibles, car les trajets en voiture fatiguent et ankylosent Véda. Quant à la pension, elle doit être « sur-mesure », et utilisée avec parcimonie. En effet, toute modification de son quotidien ou de son environnement impacte plus profondément le vieux chien, qui n’a plus la plasticité pour s’adapter aux changements. Du côté de Véda, son inconfort, ou son inquiétude se traduisent par des infections des glandes anales. Fort heureusement, car cela existe, j’ai trouvé pour elle la «THE pension», le lieu où une nounou en or veille sur elle et son bien-être ! N’est-ce pas Virginia ?

Petits tracas, petits bobos et soucis de santé

Avec un chien vieillissant, les petits tracas, les bobos, les douleurs, les raideurs, sont de jour en jour plus présents. Ambra, par exemple, ma si tonique Ambra, se fatigue de plus en plus vite. L’arthrose s’installe. Certains matins, elle rechignerait presque à sortir de son dodo, quand bien même l’attend dehors son passe-temps préféré : manger !
 
Si, avec les ans, le tchécoslovaque se pose (n’est-ce pas Ambra ?), passant de la case « hyperactive » à celle, plus confortable, de « juste actif », le saarloos, lui, s’apaise profondément. Le saarloos vieillissant est tout simplement délicieux. Il se bonifie avec l’âge, il gagne en sagesse, en douceur, en « humanité ». Une telle évolution rend encore plus tragique l’idée de l’inévitable séparation. Véda la sauvage, l’insoumise, est devenue sociable. Elle naguère si craintive, si rétive, n’a quasiment plus peur de rien, sympathise avec (presque) tous les humains, se désintéresse des roquets qui aboient derrière leur portail. Elle pose sur le monde un regard bienveillant, un regard qu’on dirait venu du fond des âges, presque mystique.
 
Bien sûr, elle reste quand même ma Véda d’amour, avec son caractère «entier». Elle est toujours prédatrice – Lilas le chat s’en souvient, la dernière attaque remonte à seulement 6 mois -, bagarreuse – ahhh les autres femelles chiens-loups, si seulement on pouvait les faire disparaître rien qu’en respirant très fort ! -  bref tout ce que j’aime dans ma Véda.

Du côté «santé» en revanche, ça n’est pas le top. Opérée des ligaments croisés aux deux pattes arrière il y a 5 ans, Véda a certes été sauvée, réparée (et avec brio), mais l’arthrose s’en est mêlée.  Elle prend aujourd’hui un traitement anti-inflammatoire quotidien, ainsi que divers compléments alimentaires, que j’achète chez sa vétérinaire ou sur Internet. Tout ceci a bien sûr un coût, d’autant qu’Ambra étant elle aussi atteinte, je lui donne les mêmes compléments qu’à Véda. Lorsqu’on a une tribu de chiens vieillissants, il faut penser « budget ». Ça a l’air trivial, pourtant c’est la réalité. C’est même une de ces réalités qui peut, dans des refuges SPA, décider de la (non) survie d’un animal.

caniformVéda en soin d’ostéopathie chez Grégory Sonrier (Cani Form’)
 
De surcroît, depuis ses 5 ans, Véda est atteinte de cataracte. Aujourd’hui, elle est quasiment aveugle. Nous avons installé des marchettes sur l’escalier, pour qu’elle ne glisse plus en descendant de son étage, et évitons de trop modifier son environnement immédiat. En raison de son arthrose, je l’aide à monter dans la voiture, et m’attends à ce qu’un jour, je sois obligée de la porter entièrement.
 
Elle est fatiguée, et parfois comme « déprimée », sans doute par la douleur arthrosique. Je veille donc à la stimuler mentalement, à lui offrir des plages de plaisir tout en respectant son seuil de tolérance et de fatigue. L’un des bonheurs de Véda, c’est par exemple de renifler pendant des heures toutes les odeurs des rues du village. Car sa truffe fonctionne encore à la perfection !
 
Véda est également incontinente. Certes, la « propreté », telle que comprise pas les êtres humains, n’a jamais été son fort. Mais maintenant, s’est ajoutée à la cause comportementale (« marquages ») une origine « mécanique » (douleurs arthrosiques, raideur de l’arrière-train), voire neurologique. Ainsi, comme avec un chiot, mais sans guère d’espoir d’amélioration, il faut être prêt à nettoyer tout le temps, à se lever parce qu’il y a eu un « accident » nocturne, à multiplier de nouveau les promenades hygiéniques.

Mais si je pense aux vieux Saarloos de mes amis, je me dis que Véda est plutôt en bon état. Certains sont en effet beaucoup plus handicapés qu’elle, et les garder heureux auprès de soi est pour leurs humains une gageure, un sacerdoce, l’émanation d’une pure bonté d’âme (la maman de Nunu se reconnaîtra). J’espère réussir, moi aussi, à « entendre » Véda lorsqu’elle diminuera encore, à lui « parler », à lui demander ce qu’elle veut pour demain, après-demain.

Les années de vieillesse font partie intégrante de la destinée d’un être vivant, et nous nous devons de les assumer pleinement. Il est même possible d’en profiter pour nouer un relationnel encore plus intense avec son animal. Je crois n’avoir jamais eu une telle tendresse pour ma chienne que depuis qu’elle est passée sur l’autre versant. Qu’elle est belle, et tendre, et douce… Qu'ils sont beaux tous mes chiens vieillissants...

Marie Perrin




lundi 1 août 2016

Accepter nos chiens comme ils sont

En consultation de comportement ou lors des séances d’éducation, je vois parfois des chiens qui ont des problèmes. Mais je vois aussi (surtout ?) des humains qui ont du mal à accepter leur animal tel qu'il est, à faire le deuil du chien parfait, celui de leurs rêves, de leurs fantasmes ou de leurs souvenirs idéalisés. Celui qui ressemblerait au labrador apparemment formidable du voisin, ou du dalmatien si « gentil » des films pour enfants. Ce chien qui n'aboierait jamais, ne tirerait pas à la laisse, ne serait jamais surexcité, anxieux, irrité ou agressif. C’est à tous ces maîtres inquiets (insatisfaits ?) que je dédie ce nouvel article.


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Volga piste les restes de nourriture, les quignons de pain et les excréments des autres animaux. Elle a été adoptée à l’âge adulte, dans un état famélique, après des années à l’attache dans un jardin. Volga désespère son nouveau propriétaire, qui pourtant l’aime énormément… Buddy le husky ne revient au rappel que quand il en a envie. C’est-à-dire presque jamais. Lumix le malinois tremble de peur dans la rue, et Looping le berger australien, que l’on prédestinait à de l’agility, a finalement un niveau d’énergie plus adapté à de l’obéissance.

Comme Volga, comme Buddy, Lumix ou Looping, bon nombre de mes « clients » à quatre pattes me sont éminemment sympathiques, et j’ai juste envie d’expliquer à leurs maîtres que leurs petits « défauts », certes parfois irritants, ou de prime abord décevants, ne sont en rien insurmontables ou rédhibitoires. En fait, ce que j’aimerais changer, c’est le regard que les propriétaires portent sur leurs toutous. Et pour cela, quoi de mieux que de vous parler de mes propres animaux ?

Tous mes chiens ont des défauts

Car oui, tous mes chiens ont des défauts, et parfois même bien plus conséquents que ceux de mes clients. Véda, ma première Saarloos, outre sa phobie de l’être humain (caractéristique de la race, mais chez elle poussée à un degré névrotique), prédate absolument tous les animaux qu’elle croise. Jusqu’à très récemment, c’était même son obsession : les chats, les lapins, les chevaux, les chèvres, les moutons, bref, tout ce qui portait plume ou poil, et pouvait être tué, dépecé, mangé. Je me souviens de ce jour de décembre 2004, quand je l’ai posée sur le sol de la maison, toute baveuse et tremblante de son long trajet en voiture, et qu’en croisant soudain le chat, elle s’est en un éclair ragaillardie ! Son regard s’est noirci, ses oreilles se sont redressées, tout son corps d’à peine 4 kilos a pris une allure altière. Véda, frêle chiot de deux mois, ne doutait pas une seule seconde de pouvoir faire entrer un troupeau de vaches dans le congélateur (ou dans son estomac) !

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Puis Véda a grandi, pris en maturité et en assurance. Quand elle a eu 2 ans, nous avons eu droit à ses premières bagarres avec d’autres chiens (les nôtres en l’occurrence, les chiens avec lesquels elle avait grandi et cohabité depuis son arrivée chez nous). Et j’ai découvert à cette occasion ce qu’était une morsure tenue – mâchoire verrouillée, écoutilles auditives et visuelles verrouillées.
 
Je n’étais pas encore comportementaliste. J’ai pris des avis : un vétérinaire m’a dit de laisser les chiennes régler leurs différends (je ne l’ai heureusement pas écouté), puis l’éleveuse de Véda m’a dit très fermement de la séparer définitivement des autres chiennes, ce que j’ai fait. Aujourd’hui, je sais qu’elle a eu raison de me donner ce conseil, et que j’ai eu raison de l’écouter. J’ai minimisé le stress lié à une impossible cohabitation, et surtout nous avons évité un bain de sang.Pourtant, Véda reste mon grand amour canin. Je sais qu’elle est dangereuse pour les autres chiens. Je sais aussi qu’elle est très différente du chien de famille idéal : destructrice, solitaire, hystérique, têtue et volontaire, malpropre… mais aussi tellement tendre, tellement caressante, tellement entière dans ses émotions, son affection comme ses inimitiés.
 
Ambra la vorace
 
Ambra, petite tchécoslovaque de bientôt 10 ans, a intégré la maison il y deux ans et demi. Comme Volga, Ambra est obsessionnelle sur la nourriture. En promenade, elle me tire parfois avec une vigueur et une brutalité inattendues parce qu’elle a senti, trois mètres devant ou derrière nous, une betterave en décomposition. Qu’elle s’empresse évidemment d’ingérer, quitte à la vomir 15 minutes plus tard. Je sais anticiper, je sais troquer, je sais aussi ignorer. J’ai surtout appris à la laisser faire, et à lui faire confiance. En effet, ce qu’elle mange est toujours comestible (peu ragoûtant, voire pire, mais néanmoins comestible). Au début, les promenades en période de récolte des betteraves sucrières ressemblaient à un parcours de « Koh-Lanta », mais maintenant, Ambra s’est bien apaisée, et avec de la motivation et de quelques friandises, nous réussissons à traverser des champs minés sans encombre majeur !

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En accueillant Ambra, je savais également qu’elle présentait des conduites agressives. Avec Véda, j’ai pris l’habitude de gérer le risque, de le minimiser. A la maison mais aussi en promenade. Du coup je me suis dit qu’une « compliquée agressive » de plus, cela ne me dérangerait pas. Bien sûr, j’ai aussitôt démarré le contre-conditionnement, selon les techniques que j’enseigne à mes clients. Non seulement Ambra a été une excellente élève mais de surcroît, ses conduites agressives étant liées à de la peur, il m’a rapidement été possible, en augmentant sa confiance en elle, de la mettre au contact d’autres chiens. Avec de la patience, de l’observation, des expériences positives, en la laissant découvrir et apprendre à son rythme, elle est devenue une chienne que je qualifierais de sociable et d’aimable.
 
Aujourd’hui, elle est celle de mes chiens en qui j’ai le plus confiance. Elle est facile, lisible, prévisible, un vrai chien, sans entourloupes ni réactions bizarres. Néanmoins, si je suis très heureuse de pouvoir maintenant lâcher Ambra en toute quiétude, je puis affirmer que si cela n’avait pas été possible, cela ne m’aurait pas embêtée. Bien sûr, je ressens un très grand bonheur à la voir vivre sa petite vie lors des lâchers collectifs, entourée d’une vingtaine ou d’une trentaine de chiens, voire d’une dizaine de chiots... Mais je ne l’avais pas prévu, c’est juste, en quelque sorte, la cerise sur le gâteau.
 
Et Namasté le parfait ?
 
Namasté, que nombre de mes clients doivent percevoir comme le chien idéal, a lieu aussi ses petits « défauts » (sisi !) Par exemple, il piaille comme un goret qu’on va passer au couteau à chaque départ de promenade. Il bondit, me bouscule, parfois même me fait mal. J’ai tout tenté, presque en vain. Pourquoi ? Notamment parce qu’il y a un paramètre sur lesquel je n’ai quasiment pas de pouvoir : la manière dont Véda, en estimant m’aider à le canaliser ou à le calmer, fait monter la pression et rend Namasté hystérique.

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Par ailleurs, depuis qu’il est bébé, Namasté «cause», fait des colères : il hulule, s’énerve, est capable d’uriner ou de déféquer puis de tout piétiner, de détruire tout ce qui passe à portée de ses crocs. Et ? Eh bien rien : Namasté a des défauts, comme celui de faire les poches des clients en éducation (qui fréquente nos séances connaît la petite rengaine de Namasté - « miam miam les bonnes friandises, et si je me servais, ni vu ni connu ? »), mais je l’aime comme il est. Il a sa personnalité, son tempérament. Pour un Saarloos, il est déjà exceptionnel, intelligent, bon, facile à « driver », pourquoi ne le laisserais-je pas être aussi impétueux, colérique et chapardeur ?
 
Faire le deuil du chien idéal
 
On a tous dans la tête un chien idéal. Un chien sans défauts apparents, un chien conforme à sa fiche de race, à ce qu’on en a imaginé, ou à ce qu’on voudrait pour nous, en fonction de notre tempérament et de nos attentes. Et puis il y a la réalité de ce chien-là, le nôtre, avec son histoire, son bagage génétique, ses apprentissages, notre relation.
 
Les border collies ne sont pas « juste » hyperactifs, ils peuvent aussi présenter nombre de comportements dérangeants : prédation des voitures ou des vélos, morsures de peur ou de mise à distance, « sticky dog syndrome ». Certes, ces désagréments ne sont pas toujours drôles pour les propriétaires, mais en même temps, la somme de ces désagréments définit-elle la totalité du chien ? Non, pas du tout. Avec l’aide d’un comportementaliste ou d’un éducateur, certains de ces comportements peuvent s’éteindre ou trouver des exutoires. D’autres malheureusement vont perdurer, et nécessiteront que les propriétaires sachent faire preuve d’adaptabilité.
 
 « Et alors ? », ai-je envie de dire ! Est-ce si important que ça ? Notre rôle, en tant que propriétaire, c’est d’apprendre à connaître notre chien, ce chien-là, si particulier, si unique, avec ses doutes, ses limites, ses failles. Et de nous adapter pour que notre (longue) vie en commun soit la plus paisible et la plus agréable possible. Regardons les qualités de nos chiens avant de nous arrêter sur leurs défauts, et profitons de chaque moment que nous pouvons passer en leur compagnie, car le temps passe si vite…
 
Marie Perrin
 
Crédit photos : Marie Perrin / Hervé Vees




lundi 18 avril 2016

Mon chien «aime»-t-il ses séances d’éducation ?

A quoi sert le dressage ? Comment démêler l’utile de l’inutile, voire du toxique ? Comment savoir si un chien apprécie ses séances d’éducation ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cet article.
 
Pour un grand nombre de propriétaires, la question ne se pose même pas : un chien doit être dressé. Le monde cynophile, lui aussi, prône le « travail » du chien. Du côté des comportementalistes en revanche, le conditionnement fait débat. Comment se sortir de ces injonctions (voire de ces idéologies) contradictoires ?
 
Sans vouloir enfoncer des portes ouvertes, toute existence en société nécessite que l’on se plie à des règles de base. Dès lors qu’un chien rentre dans une habitation, qu’il ne vit pas « à la sauvage », libre de ses mouvements dans une campagne reculée, il va devoir faire un certain nombre d’apprentissages, notamment la propreté ou la marche à la laisse. Certes, nul besoin d’en passer par des conditionnements complexes, mais même le minimum syndical de la cohabitation homme-chien relève déjà de l’éducation. Et si l’on souhaite pratiquer une activité avec son chien, là encore un petit conditionnement est indispensable. Même un sport aussi basique que le canicross nécessite que le chien soit capable d’exécuter des ordres simples (en avant, stop, droite, gauche). Pour le coureur en tout cas, cela peut s’avérer vital !
 
Rappelons que le chien est l’espèce la plus anciennement domestiquée*. Nous cohabitons depuis si longtemps que certains chercheurs n’hésitent pas à soutenir l’hypothèse que le chien et l’humain on co-évolué*. Que nous ne serions peut-être pas ces humains-là si nous n’avions pas eu nos chiens. Nos éboueurs, nos auxiliaires de chasse, nos commensaux, nos partenaires de travail. Tous les chiens ne sont peut-être pas faits pour travailler, mais un grand nombre d’entre eux le sont, et pour leur plus grand malheur leurs journées s’étirent dans l’ennui entre le canapé, la fenêtre, ou un bout de jardin en solitaire.
 
Un besoin d’activités exacerbé
 
Chiens de chasse, de garde, de troupeau, de sport : La FCI reconnaît 335 races. Sur la plupart, l’être humain a imprimé sa marque. Grâce à la sélection, les éleveurs ont modifié (et modifient encore) les morphologies. Ils ont aussi façonné les aptitudes physiques et psychiques afin de rendre les chiens performants pour certaines tâches précises. Garder des vaches ou des moutons, avec un berger ou en autonomie, traquer un animal sauvage ou le débusquer dans sa tanière, chercher du gibier et l’apporter au chasseur, aider au sauvetage aquatique, tirer des traineaux dans la neige. Certaines lignées de certaines races ont été tant et tant manipulées génétiquement pour correspondre aux besoins des humains que les sujets de ces races peuvent développer de graves troubles du comportement lorsque leur mode de vie n’est pas adapté : anxiété, agressivité, hyperactivité. Certains chiens ont besoin de travailler, c’est malheureusement inscrit dans leurs gènes. Ainsi cette petite border collie née dans une ferme, dont les géniteurs travaillaient au troupeau, et qui a été adoptée en ville : elle n’avait pas six mois que déjà, sa vétérinaire lui prescrivait des antidépresseurs.
 
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«regarde-moi» : un conditionnement utile
 
Et du côté du chien, qu’en est-il ? Que nous dit-lui, lui, de ce que nous pensons « le mieux » pour lui ? Certains chiens ont un besoin d’activité exacerbé. Se promener, randonner, courir ne leur suffit pas : il leur faut exercer leurs neurones, et de préférence tous azimuts. S’amuser à rentrer dans des boîtes de plus en plus petites, grimper à reculons le long d’un mur, mettre ses quatre pattes en équilibre sur le dessus d’un cône : autant d’activités qui ne servent à rien, qui relèvent a priori du conditionnement le plus « inutile » (et donc potentiellement répréhensible ou condamnable), et qui pourtant, pour certains chiens, participent de leur équilibre psychique et émotionnel. Certains chiens ont en effet besoin d’être énormément sollicités : pour eux, oui, le conditionnement est une obligation. Peut-être que la petite border collie aurait ainsi pu échapper à sa camisole médicamenteuse… Evidemment, on ne force personne à adopter un malinois de travail, mais si un jour on se retrouve avec un tel chien, nul doute que les deux heures de promenades quotidiennes ne lui suffiront pas : c’est inscrit dans ses gènes, il a besoin de travailler, d’être guidé, occupé.
 
Refuser tout conditionnement ?
 
Certes, l’on peut refuser toute idée de conditionnement. Pourquoi ? Par antispécisme, parce qu’on ne veut pas asseoir son pouvoir sur un animal. Par rejet de toute forme d’esclavage, ou en réaction aux dérives que l’on peut observer (et regretter) dans l’univers cynophile.
 
De surcroît, tous les conditionnements ne sont pas favorables à l’animal. L’on peut sans hésiter soutenir que dans la grande majorité des cas, les conditionnements intensifs ne font plaisir qu’au propriétaire. Mais comment le savoir ?
 
Tout d’abord en se posant des questions simples : qui aime quoi ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Mon chien a-t-il besoin de « ça » pour être heureux, épanoui, tranquille ? Puis en observant son chien durant l’entraînement. Il a tendance à s’ébrouer, à bâiller, à se gratter, à manger l’herbe ou à renfiler intempestivement ? Autant de signaux d’apaisement qui indiquent son niveau de stress. Dans ce cas, plutôt que de s’énerver, de penser « compétition » ou « que vont dire les autres ? », autant respecter son chien et arrêter là la séance, voire l’activité elle-même. Combien de propriétaires se demandent comment faire redescendre le stress de leur chien après un parcours d’agility ? Et bien peut-être tout simplement en ne faisant plus d’agility ! En lui préférant des activités plus calmes comme la course à pied, la randonnée, des parties de jeu avec des congénères… Si votre chien se réfugie dans son panier dès que vous mettez votre tenue d’entraînement, c’est sans aucun doute qu’il aimerait faire tout autre chose. Pourquoi ne l’écouteriez-vous pas ?
 
Enfin, à quoi faut-il veiller si l’on souhaite malgré tout conditionner son animal ? L’on devra évidemment opter pour des méthodes positives. Idéalement le clicker training, qui fait appel à l’intelligence de l’animal et le rend acteur de son conditionnement. Le chien va réfléchir, et cela va le fatiguer. L’on sait en effet qu’une heure d’activité mentale équivaut à trois heures d’activité physique*. Idéal par temps de pluie !
 
Marie Perrin
  • La domestication du chien est intervenue au Paléolithique
  • Lire à ce sujet le livre de Dominique Guillo, Des chiens et des humains
  • Source Joël Dehasse, Mon chien est heureux

vendredi 19 février 2016

Mordra, mordra pas ?

La dangerosité potentielle du chien de compagnie
 
Qu’est-ce qui fait qu’un chien est potentiellement dangereux ? Est-il possible de détecter d’éventuels signes avant-coureurs ? Voici quelques éléments de réponse et, surtout, de réflexion.
 
Titeuf n’est pas un pitbull, Titeuf n’est pas un chien de catégorie, Titeuf est un golden retriever mâle de 7 ans, un chien d’une de ces races qu’on décrit « gentilles avec les enfants, parfaites pour la vie de famille » (sic !). D’ailleurs, on lui donnerait le bon Dieu sans confession, avec sa bonne bouille, son air bonhomme, sa manière de vous regarder de ses beaux yeux tranquilles. Nul ne pourrait imaginer qu’en seulement quelques semaines, Titeuf a infligé plusieurs blessures très sévères. Sans prévenir, il a mordu (très fort) deux enfants et trois adultes. Sur l’échelle de Ian Dunbar, célèbre vétérinaire comportementaliste américain, Titeuf se situerait tout en haut de la dangerosité : il est sociable, tout le monde l’apprécie, personne ne se méfie de lui, mais quand il attaque, de manière extrêmement soudaine, il occasionne des dégâts sérieux.
 
Le cas de Titeuf suscite des questions. Notamment autour de la possibilité de savoir quel chien peut attaquer (et attaquer qui ?), et surtout avec quelle gravité. Il nous faut tout d’abord rappeler un fait : il n’existe à ce jour aucun test prédictif de dangerosité. Lorsque nous (les comportementalistes, ou les vétérinaires comportementalistes) sommes appelés pour évaluer un chien, c’est déjà trop tard : c’est qu’il a mordu. C’est certain qu’il serait beaucoup plus confortable de pouvoir agir en amont… Mais comment ?
 
Un peu de bon sens…
 
En premier lieu, en faisant appel à son bon sens. Quitte à enfoncer des portes ouvertes, il faut dire et redire qu’un chien est un chien, pas une sorte d’humain à qui il ne manquerait que la parole. Or, l’une des spécificités du chien, c’est sa mâchoire, puissante, avec laquelle il communique, se bat, se défend, prédate, tue, mange. Ses dents sont taillées pour infliger des dégâts, ses muscles crâniaux lui permettant de développer la pleine puissance de ses armes. Tout chien est susceptible un jour ou l’autre de mordre, et donc de blesser. Néanmoins, idéalement, le chien devrait savoir inhiber sa morsure : celle-ci devrait donc être brève, « sèche » et unique.
 
La morsure inhibée, un fondamental canin
 
Auto-contrôle fondamental, la morsure inhibée s’apprend entre chiots, par le jeu du mordeur-mordu. Oui mais… Malheureusement, tant de paramètre peuvent venir interférer et modifier la règle…
Par exemple la peur, ou la douleur, qui tronquent la phase de menace et peuvent pousser le chien à enfoncer ses crocs profondément, parce qu’il a très mal ou qu’il se sent menacé de mort. Ou l’instrumentalisation, laquelle peut être induite par l’humain (travail au mordant), ou découler d’un apprentissage fait par le chien – on me dérangeait, j’ai mordu, j’ai fait reculer ce qui m’ennuyait, donc je vais reproduire ce comportement puisqu’il m’apporte satisfaction… j’ai menacé, on ne m’a pas écouté, donc j’ai mordu, et comme j’ai enfin eu satisfaction, je vais reproduire la morsure. Pas la peine de menacer, ça ne sert à rien… Savoir ce qu’est un chien (avoir des notions en éthologie canine) est par conséquent l’une des clés pour anticiper les situations potentiellement dangereuses.
 
Parmi les situations à risque, l’on peut également citer les bandes de chiens. Nul besoin d’être devin pour se douter que dix chiens qui écument la campagne ensemble risquent de s’adonner à des activités hautement délictueuses, chacun, tel les membres d’une super équipe de foot, mettant ses capacités personnelles au service du groupe et de l’objectif (par exemple prédater un enfant). Sans compter la facilitation sociale qui naît de tels rassemblements – l’activité d’un chien se propage aux autres membres du groupe.
 
L’impact des méthodes éducatives
 
Enfin l’on ne serait pas complet sans évoquer les méthodes éducatives. L’on sait aujourd’hui que les méthodes coercitives, la violence, ont un impact délétère : 25% des chiens dressés à la dure vont développer des conduites agressives… Stanley Coren souligne que les punitions physiques, les « coups de sonnette », les cris, les colliers électriques ou à la citronnelle, les pistolets à eau ou les clôtures électriques augmentent de presque trois fois le risque d’une agression contre un membre de la famille, et de plus de deux fois le risque d’agression contre un inconnu qui pénètre sur l’espace de vie du chien.
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le collier torquatus, l'un des outils de torture pour chien...
Connaître, respecter et anticiper
 
Pour prévenir les morsures, rien ne vaut cette sainte triade : connaître, respecter, anticiper.
Connaître : chacun devrait connaître son chien, son tempérament, sa personnalité. Pour certains chiens, la nourriture c’est sacré. D’autres sont ronchons quand on les bouscule, ne supportent pas d’être réveillés en pleine sieste, détestent qu’on empiète sur leur espace vital.  Connaître son chien, ses susceptibilités notamment, va vous permettre de respecter, mais aussi d’anticiper. Si l’on vous hurle de loin, dans la rue, qu’il faut que vous remettiez votre chien en laisse, c’est peut-être tout simplement parce que le chien d’en face, pour X ou Y raison, est réactif : ce propriétaire responsable connaît son chien, et vous demande de rattacher le vôtre en anticipation, pour éviter tout accident. A vous de respecter cette requête… Et si votre chien grogne, c’est qu’il se sent menacé, ou qu’il est irrité : il vous prévient, vous demande de cesser de l’importuner, et n’a pas très envie de passer à l’acte. Si vous ignorez cette étape, vous allez le forcer à vous mordre… Un chien qui grogne prévient : cela doit être entendu et respecté.
 
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La menace : parfaitement compréhensible entre chiens (crédit photo Céline RIVAULT)
Ne pas trop demander à son chien…
 
Certaines personnes veulent que leur chien soit capable de tout tolérer. Il doit « aimer » les enfants, rester placide quand on lui tombe dessus, ne pas défendre le gâteau qui vient de rouler au sol sous sa truffe, se laisser tirer les poils et les pattes, ne pas se défendre quand on l’accule dans un coin ou sous une table. Très franchement ? Il est impossible de prédire que même le plus vaillant et le plus bienveillant des Médor va tout supporter, tout le temps, parce qu’on l’aura entraîné à ça. Oui, la légitime défense dans le monde des chiens, ça existe ! Et oui, un chien aussi a ses humeurs. On ne peut pas lui demander d’être tout le temps souriant, tout le temps grand seigneur. Un jour, vieillissant, malade, ou tout simplement arrivé à saturation, ce chien si bien éduqué, que l’on pensait capable de tout encaisser, va se révolter… et attaquer !
 
Ainsi, ce qui fait l’éventuelle dangerosité du chien de compagnie, ce sont souvent les situations : provoquer le chien, ne pas respecter sa menace, le pousser dans ses retranchements, autant de conduites à risque. Tout chien est potentiellement dangereux : parce qu’il a une mâchoire certes (nous l’avons vu), mais surtout parce qu’il a des propriétaires, et que ceux-ci ne sont toujours respectueux de ses émotions et du bien vivre ensemble.
 
Enfin, dans la cohabitation avec un chien, intervient aussi la notion de personnes à risque. Les enfants notamment, ou les personnes âgées, ou certaines situations de handicap. Autant de vulnérabilités à prendre en considération. Pour anticiper afin qu’il ne se passe rien de préjudiciable…
 
Des profils plus problématiques…
 
Du côté du chien lui-même, des éléments doivent alerter : de mauvaises conditions de développement précoces, une génétique défaillante, une mauvaise socialisation et familiarisation à l’élevage (ou chez le propriétaire), autant de « mauvais points » pour le chien. Certains profils émotionnels également, comme un tempérament «hyper». Les «hyper» ne savent pas s’arrêter et ne tolèrent pas la frustration. Ils n’ont pas de phase d’arrêt. Ainsi Flip, ce caniche joueur, si joueur, tellement joueur, juvénile et sympathique (selon ses propriétaires), toujours à fond à fond… Tellement que quand un autre chien lui dit « stop, je ne veux plus », ou « ça va trop fort pour moi, j’ai peur », Flip s’énerve, entre dans des crises de rage et se bat avec férocité.
 
Des races plus dangereuses ?
 
C’est un débat houleux, auquel il est bien difficile de contribuer intelligemment. Certaines races ont été créées, puis sélectionnées pour des tâches bien précises. L’akita inu par exemple pour ses aptitudes à la chasse et au combat. Est-ce à dire qu’un akita inu ne s’entendra jamais avec des congénères du même sexe ? Qu’il développera inévitablement une certaine agressivité ? L’on ne peut évidemment pas trancher de manière aussi péremptoire.
 
Ainsi, si les spécificités des races doivent être prises en considération par les futurs propriétaires, le choix des lignée-géniteurs-éleveur est primordial. Tout comme les démarches entreprises par le propriétaire pour donner à son chien des conditions de vie et de développement optimales – fréquenter une école des chiots pour la morsure inhibée par exemple.
 
Evaluation en post-morsure
 
En post-morsure, l’examen minutieux des circonstances de la conduite agressive, de la séquence comportementale, et l’analyse du profil du chien et de son cadre de vie s’ajoutent à une évaluation objective des blessures pour dresser un tableau le plus complet possible. Ainsi, arrivé au terme de l’évaluation, l’on peut dire si, oui ou non, ce chien mordeur et dangereux, et prendre les mesures qui s’imposent.
 
Ian Dunbar divise les chiens en quatre catégories, selon leur sociabilité et leur inhibition de la morsure. Le plus dangereux de tous, évidemment, c’est notre fameux Titeuf, le bon père aux accès agressifs soudains et incontrôlés. Peut-être Titeuf a-t-il mal ? Peut-être, en bon golden, a-t-il été trop sollicité, sensibilisé à force de manipulations et de contraintes ? Dans tous les cas, en raison même des blessures qu’il inflige, Titeuf est dangereux, et doit être appréhendé avec beaucoup de tact et de rigueur (au minium).
 
Les Titeuf ne sont pas l’exception, néanmoins, au gré des consultations, l’on voit tant de situations à risque qui pourtant ne dégénèrent pas… que l’on finit par comprendre que dans leur grande majorité, nos chiens sont de très braves animaux… car oui, au regard de la vie que nous leur faisons souvent mener, des contraintes (énormes) qui pèsent sur eux, nous pouvons l’affirmer : nos chiens sont d’une infinie patience !
 
Marie Perrin
 
 

lundi 23 novembre 2015

Un chien est mort…

Dans son édito du 19 novembre 2015*, un journaliste s’est insurgé contre les messages qui fleurissaient en hommage à Diesel, la chienne tombée pour la France durant l’assaut du raid à Saint-Denis. Autant de compassion pour un simple chien ? Mais où va la France, si ses citoyens osent mettre sur le même plan un animal et des êtres humains ? Elle va peut-être vers plus d’humanité justement, allez savoir…
Diesel, chienne malinoise de 7 ans, est morte le 16 décembre, tuée par des terroristes. Elle devait prendre sa retraite au printemps. L’émotion s’est aussitôt emparée de la Toile, en France et à l’étranger, à la hauteur du voile d’effroi et de douleur jeté sur le monde le soir du 13 novembre 2015. La voix dissonante de ce journaliste est venue briser le bel élan, et inciter à s’interroger.
Changer notre regard sur nous-mêmes
Car oui, pour oser mettre sur le même plan un animal et un être humain, il faut préalablement avoir pensé. Cogité. Réfléchi. Philosophé. Décortiqué notre pauvre humanité. Avoir accepté de n’être plus la mesure de toute chose, de n’être plus que des petits instants de passage dans un univers qui nous dépasse et nous dévore. Avoir accepté de ne plus nous regarder comme des déités, ou comme le nombril du monde. Effectivement, quand on n’a pas pris la peine de réfléchir à la cause animale, alors oui, l’on peut s’insurger, en toute bonne conscience et toute bonne foi. Et refuser de pleurer un chien tombé en héros comme l’on pleure un soldat tombé au front.
C’est alors que surgissent bien d’autres questions, en chaîne… Pleurer un chien oui, mais pourquoi pas un canard, un lapin, un veau, un saumon ? Pourquoi cette invisible (et si solide) barrière entre ceux que l’on choie, que l’on aime, que l’on respecte, que l’on défend, que l’on enterre, et tous les autres, les invisibles, animaux de batterie, d’abattoir, de laboratoires ? Parmi tous les internautes qui ont relayé la mort de Diesel, combien ont poussé la réflexion jusqu’à pleurer pour le morceau d’animal qu’ils allaient mettre dans leur assiette le soir ? Temps de crise oblige, ils ont peut-être même cherché la meilleure offre de supermarché avant de s’acheter leur steak ou leur tranche de jambon. Sans s’émouvoir du sort de cette pauvre bête, qui a grandi et vécu dans des conditions effroyables, parfois sans jamais voir la lumière du jour, puis a été abattue sous les coups, sous les cris, dans la peur et la souffrance aseptisées.
Aimer les uns pour exploiter les autres
Jean-Pierre Digard, dans « La Plus Belle Histoire des animaux », postule que les êtres humains des sociétés contemporaines occidentales surinvestissent leurs animaux domestiques à l’exact opposé de la manière dont ils maltraitent leurs animaux de rente. Comme les deux versants d’une même réalité, ubac et adret se rejoignant sur un point : l’outrance des deux positions. Nous aimons nos chiens et nos chats avec une passion qui, croyons-nous, nous permet de nous racheter de tout le reste : la réalité des fermes intensives, des abattoirs, de la sélection génétique, du clonage, de la maltraitance industrialisée, dans le secret du «Silence des bêtes», comme l’écrit Elisabeth de Fontenay.
Cette philosophe française, fille d’un grand résistant, a publié plusieurs ouvrages consacrés à la condition animale et aux rapports entre les humains et les animaux. Sans craindre de s’attirer les foudres, de manière aussi magistrale que magnifique, elle met ainsi en parallèle les pratiques de l’industrie agro-alimentaire (l’on pourrait ajouter pharmaceutique) et l’abjection de la Shoah. Laissons-la parler, sa prose est si belle…
Oui, les pratiques d'élevage et de mise à mort industrielles des bêtes peuvent rappeler les camps de concentration et même d'extermination, mais à une seule condition : que l'on ait préalablement reconnu un caractère de singularité à la destruction des Juifs d'Europe, ce qui donne pour tâche de transformer l'expression figée « comme des brebis à l'abattoir » en une métaphore vive. Car ce n'est pas faire preuve de manquement à l'humain que de conduire une critique de la métaphysique humaniste, subjectiviste et prédatrice. (« Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité »)
 
On sait que la grande majorité de ceux qui, descendant des trains, se retrouvaient sur les rampes des camps d'extermination ne parlait pas allemand, ne comprenait rien à ces mots qui ne leur étaient pas adressés comme une parole humaine, mais qui s'abattaient sur eux dans la rage et les hurlements. Or, subir une langue qui n'est plus faite de mots mais seulement de cris de haine et qui n'exprime rien d'autre que le pouvoir infini de la terreur, le paroxysme de l'intelligibilité meurtrière, n'est-ce-pas précisément le sort que connaissent tant et tant d'animaux ? (« Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité »)
 
T’es vegan, t’es hype !
Ces dernières années pourtant, des voix s’élèvent. De plus en plus nombreuses. Les temps changent. Naguère, être végétarien n’était pas très bien vu. Un végétarien ? C’était un empêcheur de manger en rond, un ascète qui ne se nourrissait pas par plaisir mais pour survivre, de préférence de graines germées et autres fadaises bio-sectaires. Aujourd’hui, les vegan ont le vent en poupe. T’es vegan, t’es hype !
Parallèlement, la liste des personnalités qui s’engagent aux côtés des défenseurs des animaux s’allonge. En 2013, 24 intellectuels signent ainsi un manifeste pour un changement du statut juridique des animaux. Parmi eux Boris Cyrulnik, Mathieu Ricard ou Luc Ferry. Et si l’on peut encore contester que les animaux puissent avoir des droits, l’on ne peut plus, aujourd’hui, nier une réalité : nous avons des devoirs envers eux. Plus la recherche en éthologie avance, plus l’on se rend compte des incroyables capacités de nos amies les bêtes. Altruisme chez les grands singes, conscience de la mort chez les éléphants, incroyables aptitudes sociales chez les corbeaux, dialectes de groupe chez les mammifères marins, et tant d’autres encore que l’on pourrait citer ou qui restent à découvrir…
Oui, les temps changent…
De toute façon, même sans ces découvertes scientifiques, l’humilité et la morale les plus élémentaires ne nous enjoignent-elle pas de protéger le vivant, quel qu’il soit, dans toute son altérité et dans toute sa spécificité ? Je ne suis pas une orque, je ne sais peut-être pas grand-chose de la vie intime des orques, mais il n’empêche que rien, absolument rien, ne m’autorise à la traiter comme un objet, à l’enfermer, à l’exhiber, à la priver de ses courses au long cours et de ses chants à plusieurs voix en compagnie de ses semblables, dans l’immensité des océans. Alors oui, les temps changent, cirque sans animaux, remise en cause des parcs zoologiques, combats de plus en plus respectés et pris au sérieux de groupes comme L214 ou Code animal, mais la route sera encore longue jusqu’à l’apaisement et la réconciliation.
A la télévision, les documentaires se multiplient, questionnant le sort que l’on réserve aux animaux. Ainsi, ce lundi 23 novembre, «L’animal est une personne», sur France 3, dont la diffusion sera suivie d’un débat. La télévision, écho des grands mouvements qui agitent et traversent la société, la conscience collective. L’antispécisme nous le dit depuis longtemps, mais nous nous bouchions les oreilles. Nous ne voulions ni voir, ni entendre, ni penser. Né dans les années 1970, l’antispécisme refuse la domination et la discrimination au nom de l’espèce. « La Libération animale» de Peter Singer signe le manifeste du mouvement. Aucune espère ne saurait être utilisée ou exploitée par l’être humain, les antispécistes sont donc tout naturellement vegans, c’est-à-dire qu’ils ne consomment aucun produit d’origine animale ou ayant nécessité l’exploitation d’un animal (alimentation, vêtements, cosmétiques). Bien au-delà, surgissent toutes les questions autour du propre de l’homme, de l’utilisation même du terme « animal » ou « animalité », que des philosophes ont à leur tour creusée, à l’instar de Jacques Derrida, par exemple.
Alors non, au regard de tout ceci, Diesel n’est pas le «symptôme de notre faiblesse» comme le dit ce journaliste de « L’Union ». Diesel était un animal sensible, une chienne douée de sensations et de sentiments, qui a été tuée pour une guerre qui ne la concernait pas. Une chienne, utilisée comme tant d’autres, chiens bien sûr, mais aussi chevaux, dauphins, oiseaux, pour servir la folie des hommes. La mort de Diesel doit nous inciter à réfléchir sur notre place au sein de la Création et à entrer en résistance pour respecter et protéger nos frères et sœurs à poils, à plumes, à écailles, où qu’ils se trouvent, et quels qu’ils soient.
Marie Perrin
  • Sébastien Lacroix, «Diesel, symptôme de notre faiblesse», L’Union du 19 novembre 2015.

mercredi 28 octobre 2015

Le "animal hoarding", une terrible réalité

Syndrome de Noé ou « animal hoarding » : cette collectionnite d’un genre un peu particulier désigne l’accumulation d’êtres vivants. Régulièrement, les journaux relatent des affaires de maltraitances animales graves qui relèvent de cette pathologie mentale. Gros plan.

Des dizaines de chiens ou de chats entassés dans des deux-pièces, dans la plus totale insalubrité. Des lapins, des cochons d’Inde, des canards ou des serpents en trop grand nombre, dans le noir d’une cave ou la crasse d’une maison pestilentielle. Lorsque les associations ou les autorités interviennent, il est souvent trop tard : parfois alertés par des voisins, les enquêteurs découvrent des logements dévastés. Et des animaux en très grande souffrance.

Une maltraitance passive

Le schéma de ces affaires varie peu : les propriétaires ne voulaient que le bien de leurs animaux, ils ont été emportés par leur passion, ils n’ont pas su dire non. Manque d’argent, détérioration des habitations, bientôt la situation leur a échappé, s’est retrouvée hors contrôle. Ils étaient dépressifs, ne se sont pas rendu compte. A l’instar des personnes souffrant d’addiction, ils sont dans le déni, pensant « que tout est parfaitement normal ». Ils ont 50 chats ? Peut-être, mais personne ne peut les aimer autant qu’eux. Et peu importe si leurs chats sont stressés, malades, mourants…

Ce qui compte dans cette affection, ce n’est pas tant le nombre d’animaux détenus que la capacité du « propriétaire » à les soigner tous convenablement. Une personne atteinte du syndrome de Noé ne peut tout simplement pas subvenir aux besoins (physiques et psychiques) de ses animaux. Elle s’isole, se replie sur son univers. Sa collectionnite peut fonctionner un temps, puis un grain de sable vient gripper la mécanique, et tout s’effrite. Dépassé, débordé, le malade s’enfonce, entraînant ses animaux dans sa chute.

D’effroyables affaires vécues…

Quelques affaires vécues me reviennent en mémoire, du temps où j’intervenais sur le terrain avec Le Refuge de l’arche de Noé, association de protection des animaux de rente basée dans le Bas-Rhin, près de Strasbourg. La toute première nous a emmenés dans les Vosges, dans un tout petit village où « sévissait » une dame âgée, d’origine allemande. L’association avait été prévenue par des chasseurs du secteur, qui s’inquiétaient de trouver des cadavres de chevaux dans la forêt. Des carcasses d’équidés enterrées dans l’épais fumier, des chiens infestés de parasites au point que l’un d’eux avait dû être euthanasié, des animaux ensauvagés, qu’il avait été bien difficile d’attraper et de transporter : sur place, la situation était terrible. En Allemagne, cette « Cruella des Vosges », comme elle allait être surnommée lors de son procès, n’avait plus l’autorisation de posséder le moindre animal de compagnie, fût-il poisson rouge. Elle avait donc franchi la frontière, et poursuivait ses funestes activités en France.

A bien d’autres reprises, par la suite, Le Refuge de l’Arche de Noé a été confronté à des situations similaires. Comme cet aviculteur que la mort de sa maman avait fait « dérailler »… Nous avons sorti les cadavres de lapins et de volailles sur des brouettes, par dizaines. Les rescapés ont été rapatriés dans les locaux de l’Arche, soignés puis placés en familles. Ces « entassements » d’animaux, au mépris de la loi, de la logique, de tout bon sens, sont finalement assez courants. L’on s’en aperçoit vite quand on commence à s’implique dans la protection animale.

Les « animal hoarders » : quel profil ?

D’après une étude menée au Québec par les services sociaux et de santé, le profil des personnes souffrant d’animal hoarding serait le suivant : à 75% des femmes, seules, possédant en moyenne 39 animaux. Les espèces concernées seraient à 81% les chats, à 55% les chiens, à 17% les oiseaux, les petits mammifères, bétail, chevaux et reptiles se partageant le reste*. Pour certains auteurs, il s’agirait d’une forme de TOC (troubles obsessionnels compulsifs), lesquels toucheraient environ 2% de la population. S’il ne s’agit évidemment pas d’un problème majeur de santé publique, le « syndrome d’hébergement d’innombrables animaux» (tel que nommé en Belgique) n’en reste pas moins une terrible réalité, dont il faut parler quand on aime les animaux et qu’on se soucie de leur bien-être.

Marie Perrin

 


 

Pour aller plus loin :

ð  Une vidéo, dans laquelle un bénévole de la SPA pointe fort justement du doigt les carences psychologiques subies par des chiots nés dans de telles conditions…


ð  Une vidéo réalisée par la SPA de Besançon :


ð  Une autre vidéo, d’un couple qui « collectionne » les chats :


ð  Un article paru dans le «Huffington Post» :


ð  Un article d’«Ouest France» sur le syndrome de Diogène, apparenté au syndrome de Noé mais concernant les objets :


ð  Enfin, un numéro de Xenius, l’émission d’Arte, consacré à la syllogomanie :