mercredi 21 août 2013

Médor est-il stressé ? (Chien magazine de septembre 2013)


Médor a de l'eczéma, prend du poids ou se lèche compulsivement les pattes… Serait-il stressé ? De nombreux événements sont en effet susceptibles de stresser nos chiens.  Malheureusement, nous n’en avons pas toujours conscience, ne nous en rendons pas compte et ne réagissons donc pas de manière appropriée. Et si nous tentions de combler cette lacune ?

A l’instar des êtres humains, les chiens éprouvent le stress, lequel peut être défini comme un « état réactionnel de l’organisme soumis à une agression brusque » (Le Larousse médical). Cette « réaction d’alarme » déclenche toute une série de processus biochimiques, avec production de diverses hormones, parmi lesquelles l’adrénaline. Par extension, le terme « stress » a fini par désigner tout à la fois la cause et l’effet de l’agression. Hans Seyle, biologiste et endocrinologue d’origine autrichienne, découpe le syndrome de stress en trois étapes : la phase d’alarme, le stade de résistance et l’épuisement. Réflexe de survie biologique (et non dommageable en tant que tel), le stress, lorsqu’il est durable et répété, devient pathogène et toxique.


Chaque chien est unique, y compris face au stress

Tous les individus ne réagissent pas de la même manière aux agents stressants. Une situation intolérable pour certains chiens sera tout à fait gérable pour d’autres chiens. Tout ceci tient en un concept : celui d’homéostasie sensorielle, ou équilibre interne. Cette homéostasie sensorielle est liée aux conditions de développement précoces du chien, mais aussi à sa race, son âge, son environnement de vie, son statut hormonal, ses expériences passées : en un mot, son « tempérament ». Chaque chien est unique, et cela vaut évidemment pour sa manière de répondre au stress.

Qu’est-ce qui stresse nos chiens ?
Turid Rugaas, éducatrice norvégienne de renommée internationale, notamment célèbre pour son décryptage des signaux d’apaisement canins, a également beaucoup travaillé sur le stress chez le chien. Nombre de situations ordinaires de la vie courante peuvent inquiéter un chien, surtout s’il est sensible ou émotionnellement instable : un déménagement, l’arrivée d’un bébé dans la famille, de nouveaux horaires, mais aussi quelques jours en pension, la solitude ou une faible dépense physique ou mentale. Des séances de jeu ou d’éducation trop longues ou trop soutenues peuvent aussi se montrer perturbantes.

La faim, la soif, l’excès de bruit, toute situation perçue comme effrayante ou dangereuse vont également mettre l’organisme du chien en état d’alerte. Or, si l’adrénaline se diffuse dans l’organisme et atteint son pic en quelques minutes seulement, elle met en revanche des jours pour s’éliminer complètement, et comme les répercussions biochimiques du stress sont cumulatives (chaque stress se cumule au précédent), certains individus n’arrivent jamais à revenir à une situation apaisée. Ils entrent dans la phase délétère du stress dit « chronique », qui cause des dommages psychiques et physiques – problèmes cutanés, digestifs, cardiaques, d’immunité, entre autres.
Le stress peut même impacter la croissance d’un chien : à bagage génétique équivalent, un chiot grandira mieux dans un environnement sûr et serein. Pareillement, certains chiens obèses sont en réalité… stressés ! Enfin, évidemment, de nombreux troubles du comportement peuvent découler d’un état de stress chronique : stéréotypies ou comportements autocentrés (comme les plaies de léchage).

Lire son chien pour bien réagir
Turid Rugaas recommande d’être tout particulièrement attentif aux signaux émis par nos chiens, d’apprendre à les lire pour agir en conséquence. Ainsi, lors d’une séance de dressage, si votre chien se met à haleter, à se gratter, à bâiller ou à tourner la tête, c’est qu’il est inquiet, débordé, mal à l’aise : mieux vaut interrompre immédiatement la leçon et aller le détendre. Manque d’attention, agitations, tremblements, salivation sont autant de symptômes d’une vive anxiété. Il suffit de songer  à l’attitude de nos chiens chez le vétérinaire : combien d’entre eux pleurent et tournent sans se poser dans la salle d’attente, puis perdent tous leurs poils (voire urinent ou vident leurs glandes anales) sur la table d’examen ?

La confusion, l’absence d’un cadre de vie clair, des punitions, une communication défaillante ou ambiguë peuvent également conduire Médor à un état de stress continuel. La gestion des ressources (rituels, alimentation, déplacements, contacts et promenades) incombe au propriétaire : c’est à ce prix qu’un chien peut se sentir bien chez lui et dans ses coussinets. Comblé dans ses besoins spécifiques, respecté dans ses craintes et ses incapacités, un chien n’a aucune raison de devenir un « stressé chronique ». A chacun d’y veiller !
Marie Perrin

jeudi 15 août 2013

La détresse acquise, pour aller plus loin...


Détresse acquise, inhibition de l’action, syndrome de Klüver Bucy : pour aller plus loin...

L’état de détresse acquise a fait l’objet d’un article récent, à lire sur ce blog. A plusieurs reprises, en surfant sur le Net et en discutant avec des amis, j’ai cru comprendre que certains lecteurs restaient sur leur faim et que des questions demeuraient en suspens, bref que mon article n’était pas assez précis. C’est pourquoi j’ai décidé de rédiger ce texte-ci qui, je l’espère, répondra à (toutes ?) vos attentes.

Petite précision : je cite souvent des expériences menées sur des animaux. A titre individuel et éthique, je récuse complètement ces méthodes. Mais si je souhaite parler des notions de détresse acquise, d’inhibition de l’action et de syndrome de Klüver Bucy, je suis forcée de relater ce qui a été testé en laboratoire. Pour l’inhibition de l’action, il s’agissait même de recherche fondamentale, c’est-à-dire que les chiens n’ont pas été « torturés » pour un quelconque savoir biologique ou éthologique, mais pour le « plaisir » de la connaissance scientifique pure.

Détresse acquise, inhibition de l’action, syndrome de Klüver Bucy : autant d’états de souffrance qui peuvent toucher nos animaux familiers, tout particulièrement nos chiens (mais aussi nos chevaux), soumis à des stress intenses au nom de pratiques de dressage antédiluviennes mais, surtout, d’une certaine vision de l’animal, soumis, contraint, parfois littéralement réduit en esclavage.

L’inhibition de l’action

L’inhibition de l’action a été mise en évidence à la fin du XXe siècle par Henri Laborit. S’immobiliser est l’un des moyens de défense en cas de danger : ainsi le rongeur qui se fige en présence d’un prédateur. De manière ponctuelle, cette inhibition de l’action n’est donc pas pathogène. Mais elle devient toxique si l’animal s’y installe durablement. A travers des expériences menées sur des rats, Henri Laborit a prouvé que, confrontés à des chocs électriques qu’ils ne pouvaient pas fuir (et qui étaient toujours annoncés par un signal sonore), les animaux sombraient dans un état de stress avec somatisation : ils avaient appris, dans la douleur, qu’ils ne pouvaient pas agir sur leur environnement.

Dans le film «Mon oncle d’Amérique» d’Alain Resnais (1980), Henri Laborit expose ainsi sa découverte : « cette punition va provoquer chez [le rat] un comportement d’inhibition. Il apprend que toute action est inefficace, qu’il ne peut ni fuir ni lutter ». Henri Laborit note par ailleurs que si le rat peut rediriger la douleur provoquée par les chocs électriques sur un autre rat, il ne développera pas les mêmes troubles physiques et psychiques. L’on prend ainsi la mesure de l’importance des actions (et conduites agressives) redirigées, qui permettent à l’animal d’avoir l’impression de demeurer acteur de ce qui lui arrive.

Lorsqu’il se retrouve dans une situation potentiellement dangereuse, le chien, comme le rat, peut faire l’économie de la fuite ou de l’attaque en s’immobilisant : il inhibe son action. Malheureusement, si cette inhibition ne découle pas d’un choix, si, quoi qu’il tente, il ne parvient pas à fuir le stimulus aversif, il va sombrer dans un état pathogène. S’ensuivront des troubles organiques et psychiques.

L’état de détresse acquise

Cette inhibition de l’action correspond, en d’autres termes, à ce que Seligmann et son équipe ont nommé « état de détresse acquise ». Anesthésiés, sidérés, les chiens (ou les rats, ou les humains) capitulent, pris dans un système pervers qui les anéantit.

Ces états extrêmes ont été décrits par des éthologues spécialisés dans les chevaux. C’est le fameux « join up », lequel va même au-delà de l’inhibition de l’action ou de l’état de détresse acquise. Dans un article publié en ligne*, Jean-Claude Barrey et Nadès Miklas, un éthologue et une biologiste, soulignent que « la soumission obtenue par les méthodes de type join up est en fait une aliénation pathologique connue sous le syndrome de Klüver Bucy. Cette pathologie est provoquée par les mises en fuite et les blocages répétés du join up et des méthodes assimilées. Ces inhibitions de l’action cohérente du cheval entraînent une très forte activation de l’axe HHA (hypothalamus-hypophyse-adreno-cortical) qui aboutit à shooter l’animal par ses propres endorphines et entraînent des lésions des noyaux amygdaliens latéraux du cerveau limbique ».

Le syndrome de Klüver Bucy

Découvert par un psychologue (Henrich Klüver) et un neurochirurgien (Paul Bucy) de l’université de Chicago, ce syndrome est lié chez l’être humain à une destruction d’une partie du cerveau (lobectomie). Ses principaux symptômes sont : une incapacité à reconnaître les visages, une incapacité à reconnaître les objets par leur forme (perçue par le sens tactile), des troubles de la mémoire, un émoussement émotionnel, une oralité compulsive, un besoin d’explorer l’environnement, un mouvement incessant, une hyper-sexualité et une disparition de la peur. Chez le chien, comme chez le cheval, l’on peut en retrouver les grands traits dans des cas de stress aggravé et perdurant. Après quelques minutes d’un stress extrême, par exemple lors de certaines séances de rééducation musclées, le chien entre dans une sidération visible à l’œil nu, même pour le plus néophyte des observateurs. Les émotions de l’animal disparaissent : il est comme lobotomisé. Forcément, ce chien-là, ou ce cheval-là, semblera assagi, d’un contact aisé : mais ne nous y trompons pas, sa souffrance est infinie. Tout débourrage rapide chez le cheval, toute rééducation rapide chez le chien font ainsi appel à l’inhibition conditionnée, laquelle est clairement de la maltraitance.

L’on ne peut que faire le parallèle avec les méthodes de certains dresseurs qui, en peu de temps, obtiennent des résultats que d’aucuns jugent spectaculaires. Bien sûr que les tenants des méthodes coercitives ont des résultats, et rapides ! Ils forcent l’animal à se soumettre à leur vouloir, faisant complètement fi de ce qu’il pourrait, lui, désirer. On ne le dira jamais assez : un comportement n’apparaît pas par hasard, il répond à une motivation profonde. Vouloir redresser le comportement sans tenir compte des causes qui ont mené le chien à l’adopter, c’est forcer l’animal à se taire. Le comportement sera peut-être sous contrôle, muselé, mais les causes sous-jacentes seront toujours présentes… Peu à peu, certains chiens se retirent ainsi dans des recoins silencieux de leur être où plus rien ne peut les atteindre. Ils sont dépossédés d’eux-mêmes, retranchés dans des limbes mortifères. Certains ne s’en remettent jamais…

La capacité de résilience

Fort heureusement, ces cas graves restent plutôt rares (quoique ?). Les chiens de Seligmann furent ainsi capables de résilience : dès lors qu’un être humain leur montrait comment échapper aux chocs électriques, ils récupéraient leur instinct de survie et parvenaient à fuir. C’est une bonne nouvelle, une raison d’espérer. Mais l’idéal serait de réussir à mettre définitivement à terre l’idéologie qui donne naissance à toutes ces croyances autour de l’animal de compagnie, et tout particulièrement du chien. Stressé, forcé, nié, maltraité, réifié au nom d’une théorie de la dominance pourtant inepte et détricotée à de multiples reprises. Et au nom, aussi, d’une certaine manière de percevoir l’animal : autre que nous, certes, mais surtout inférieur et inféodé. Ce qui autorise toutes les aberrations.

Marie Perrin


 

mercredi 7 août 2013

L'enrichissement environnemental

Enrichir le milieu de vie de nos chiens...

Membres à part entière des familles d’aujourd’hui, les chiens ont vu leur vie, et leur statut, se modifier considérablement au cours des dernières décennies : naguère chiens de travail, au même titre qu’un cheval ou qu’un bœuf, ils sont devenus des animaux choyés, dont nous pensons combler tous les désirs. A tort. En effet, il leur manque souvent l’essentiel : des activités, des interactions, des sollicitations. Bien que nous prétendions penser à leur bien-être, nous les laissons seuls, frustrés, stressés et insatisfaits, plongés dans l’ennui le plus profond. Un enrichissement du milieu peut les apaiser et ainsi soigner les troubles comportementaux nés de leur inconfort.
 
«Le Petit Larousse» définit la cognition comme l’«ensemble des structures et activités psychologiques dont la fonction est la connaissance, par opposition aux domaines de l’affectivité».  Sara Shettleworth, professeur de psychologie et de zoologie à l’université de Toronto, parle de la cognition animale comme de la «manière dont les animaux perçoivent le monde, apprennent, se souviennent, cherchent de la nourriture ou un partenaire, communiquent et s’orientent»*.
 
Encourager et développer les capacités cognitive des animaux
 
L’enrichissement du milieu regroupe tous les enrichissements qui tendent à encourager et développer les capacités cognitives des animaux. Il est très utilisé pour réduire le stress et le mal-être des animaux captifs, notamment les primates. De nombreux parcs zoologiques ont ainsi mis en place des programmes visant à améliorer les conditions de détention de certaines espèces ** : les otaries cherchent leur nourriture dans des blocs de glace, les singes dans des tubes à tourner ou des termitières***. L’ajout de divers substrats (arbres, végétation, terre), l’apport de jouets (roues ou grilles à escalader pour les rongeurs), des contacts positifs avec les soigneurs, par le biais notamment du renforcement positif (conditionnement opérant), sont autant de moyens de rendre la captivité moins pénible aux animaux.
 
Un stress intense et durable
 
Evidemment, tout ceci est applicable au chien de compagnie ! Rappelons-le, la plupart des chiens passent de longues heures seuls, sans aucun compagnie, à attendre le retour de leur maître. Ils s’ennuient, ne peuvent pas se défouler et développent des troubles directement liés à leur mode de vie. Malpropretés, destructions, vocalises, léchages compulsifs, stéréotypies, pica : autant de symptômes d’un stress intense et durable, qu’il est pourtant possible de limiter grâce à un enrichissement environnemental et à une prise en compte des vrais besoins (cognitifs et éthologiques) des chiens.

Les sites spécialisés dans les animaux de compagnie proposent tous à la vente des balles à friandises, dans lesquelles on peut cacher une partie de la ration quotidienne du chien. Celui-ci s’amusera à les faire tomber de l’objet : il lui faudra réfléchir, trouver la solution à un problème, cela lui passera le temps et le fatiguera. Et après son repas, il piquera un somme bien mérité ! La journée lui paraîtra ainsi moins longue, et il aura entretenu et entraîné ses capacités de réflexion.

Les activités ludiques : des moments essentiels au bien-être de nos chiens
(Photo Marie Perrin)


Il est aussi possible de construire soi-même ses distributeurs à friandises : un peu d’imagination et le tour est joué ! Une bouteille vide dans laquelle on a placé des croquettes, un bac rempli d’objets divers et variés dans lequel on cache des friandises, ou des croquettes disséminées adroitement dans les pièces de vie de l’animal : autant de joujoux pas chers qui ne demandent qu’à être revisités au gré des imaginations ****.
 
Le monde idéal du chien heureux
 
Bien sûr, il conviendra d’octroyer au chien autant de sorties que nécessaire. Certains individus ont un potentiel spécifique d’activité élevé, d’autres non : chaque propriétaire connaît son chien, et sait donc quelles durées de promenade quotidiennes lui sont indispensables. Ces sorties peuvent être l’occasion de rencontres avec des congénères : une activité indispensable car le chien pourra ainsi développer, entretenir et enrichir ses capacités de communication. Dans le monde idéal du chien heureux, la solitude n’existerait d’ailleurs pas : chaque chien vivrait avec un autre chien, et pourrait ainsi assouvir à sa convenance ses besoins interactionnels.
 

Enfin, le relationnel avec le maître a lui aussi toute son importance : il suffit de trouver ce qu’aime le chien pour se diriger vers une activité ludique qui lui permettra d’apprendre (par conséquent de solliciter ses facultés cognitives), tout en nouant avec son propriétaire un lien plus fort. Obérythmée, canicross, agility, frisbee : loin de toute recherche de performance, quelques exercices quotidiens suffiront souvent au bonheur de Médor. Grâce au renforcement positif ou au travail au clicker training, le chien pourra ainsi mobiliser son intellect. Tout comme avec les jouets dits « éducatifs »,  du type de ceux conçus et développés par la Suédoise Nina Ottoson.
 

Marie Perrin


* Sara J Shettleworth, Cognition, Evolution and Behaviour, Oxford University Press, 2009.
** Tout particulièrement les espèces au comportement exploratoire intense, qui souffrent donc plus de la captivité et de leur environnement monotone et limité.
*** Pour plus d’informations sur l’enrichissement environnemental chez les primates, se référer à ce site : http://www.gaep.eu/index.php
*** Attention de bien valider préalablement que le chien n’ingère pas de substances non comestibles.