Mon chien, mon meilleur ami, mon compagnon de tous les jours, a tué le
chat de la voisine. Soudain, il m’est apparu comme un étranger. Au-delà du
choc, de la violence de l’attaque, j’ai été forcée de le voir tel qu’en
lui-même : un canidé, un prédateur, aux sens et à la mâchoire aiguisés
pour la chasse.
Hiatus : il y a d’un côté le chien que j’aime, que j’imagine, et de l’autre celui qui, sous mes yeux effarés, a brisé la colonne vertébrale du chat de la voisine. Qui est peut-être même ensuite venu vers moi, tout content, avec son trophée dans la gueule. Comment réconcilier ces deux visions du chien ? Mon chien câlin et tranquille, et la brute sanguinaire qui a surgi d'un coup, me laissant traumatisée ?
Peu préparés à ce genre d’événements,
les propriétaires peuvent se sentir comme sidérés, effrayés, culpabilisés. L’on
rencontre les mêmes sentiments lors des conduites agressives : comment ce
chien, qui partage ma vie depuis tant d’années, a-t-il pu me mordre ? Pris
de doutes sur leurs capacités à être des bons maîtres, certains se sentent mis
en défaut, tandis que d’autres ont soudain peur de leur animal. Et pourtant, en
y réfléchissant juste un peu, quoi de plus naturel pour un chien que de partir
en chasse ? Tous les chiens de compagnie ne sont plus capables d’aller
jusqu’à estourbir ou ingérer des proies, mais la plupart expriment (parfois quotidiennement)
un certain nombre des comportements liés à la prédation. Lorsque Médor prend sa
peluche et la secoue violemment, il ne fait rien d’autre que mimer la mise à
mort d’une proie. Idem lorsqu’il poursuit sa balle, ou rapporte son jouet pour qu'on le lui relance.
La balle : un substitut de proie (Crédit photo : Marie PERRIN)
Le chien, un prédateur
Car le chien est génétiquement programmé pour la
prédation. Instinct puissant, lié à sa nature même de canidé, à la survie, la
prédation implique une série de patrons-moteurs, que Joël Dehasse définit comme
suit dans « Tout sur la psychologie du chien » : «Un
patron-moteur est un comportement génétiquement prédéterminé, inné, qui n’a pas
besoin d’être appris pour s’exprimer, mais qui a besoin d’apprentissage pour se
perfectionner, et qui est auto-renforcé». Ce qui signifie que le chien est un
prédateur-né, mais que chaque fois qu’il part en chasse, il se perfectionne,
apprend par essai erreur, et, surtout, que toute chasse réussie renforce son
envie d’y retourner. L’on entend souvent dire « une fois qu’il a le goût
du sang, on ne peut plus rien faire ». C’est évidemment faux, mais le
langage populaire exprime malgré tout une certaine vérité : le chien qui
parvient au bout de sa prédation vit un renforcement maximal, une
sorte de fabuleux jackpot. Désormais, il sait que c’est possible, et surtout
que c’est vraiment une expérience épatante !
Attention danger ! (Crédit photo Guillaume CHATELLARD - reproduction interdite)
Parmi les patrons
moteurs de la prédation, l’on peut citer par exemple la fixation visuelle, la
traque, la poursuite, la capture, la mise à mort, l’ingestion. Bien sûr, toutes
les races, et tous les individus, ne sont pas capables d’exprimer tous ces
patrons moteurs. D’autant que l’être humain a su tirer bénéfice de ces
aptitudes naturelles. Grâce à la sélection génétique, il a fixé certains
patrons moteurs chez certaines races : ainsi la fixation visuelle chez le
border collie. Si les chiens ont la capacité de rassembler et de garder des troupeaux,
c’est parce qu’ils sont des prédateurs, et que les éleveurs, au fil de leurs
sélections, ont su briser la séquence comportementale complète de la prédation pour n’en
conserver que ce qui pouvait leur être utile pour le travail. Et que dire des chiens de chasse sinon qu'effectivement, le terme «chasse» est suffisamment explicite : l'être humain a créé puis «amélioré» toutes les races de chiens de chasse à des fins utilitaires, en éliminant certains patrons moteurs et en en optimisant d'autres : traque à l'odeur, affût, rapport sans abîmer la proie, etc. Même la recherche de personnes s'appuie sur l'instinct de chasse du chien (traque à la vue ou à l'odeur selon la discipline).
La prédation, une conduite agressive ?
Les spécialistes
peinent à s’accorder sur une question : la prédation doit-elle être
considérée comme une conduite agressive ? Pour certains éthologues, non. D’autres
continuent de la classer dans les conduites agressives. Certes, l’acte de
prédation est une atteinte à l’intégrité physique d’un autre être vivant, mais étant
lié à la survie, à l’instinct même de l’« être chien », l’on peut légitimement
se demander s’il s’agit d’agression, ou d’autre chose. En tout cas, le débat
semble ouvert.
Bien sûr,
certaines prédations sont aberrantes. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne sont
pas fréquentes. Comme pour la plupart des comportements canins, l’on ne
soulignera jamais assez l’importance de l’imprégnation précoce. Un chien
habitué tout petit aux chats, aux chevaux, à toutes les espèces possibles d’animaux,
présentera très certainement moins de tendances prédatrices qu’un chien qui
croisera son premier chat à l’adolescence*. Cela vaut pour la prédation sur
petits chiens, et pour la prédation sur enfants. Car oui, certains chiens, les
médias ne manquent pas de le relayer en boucle lorsque cela se produit,
prédatent les enfants. Tout particulièrement en bande : facilitation
sociale et ganging peuvent faire des ravages. Certains grands chiens prédatent également
les (tout) petits chiens. Ceci dit, lorsqu’on voit la diversité des races et
des morphologies de nos chiens domestiques, l’on est parfois étonné de la
capacité d’un dogue allemand à reconnaître un congénère en un mini-chihuahua. Face
à de grandes disparités de taille, rappelons-le, la prudence doit toujours être
de mise.
La fixité du regard, l'attitude générale du corps : cette vache pourrait passer un sale quart d'heure...
(Crédit photo : Marie PERRIN)
(Crédit photo : Marie PERRIN)
Mon chien prédate, que faire ?
Un chien qui
prédate est un chien… normal ! Lorsque sa prédation ne s’exerce pas sur
des enfants, elle n’a rien de pathologique. Privés de la possibilité de laisser s’exprimer
ce puissant besoin, certains individus chassent les joggeurs, les cyclistes,
les voitures, tout ce qui bouge en somme. Que peut-on faire ? Anticiper,
tenter une familiarisation à certaines espèces, tenir son chien
à la laisse s’il est très prédateur et que l’on se promène dans un secteur
giboyeux, éventuellement travailler les blocages en éducation - avec les
risques d’échecs liés à la valeur extraordinaire de la proie qui s’enfuit. Et se
dire que notre chien, sous ses dehors policés, même toiletté, parfumé et vêtu d’une
belle tenue de ville, cache un animal sauvage, qui rêve d’un festin de lapins
et de lièvres, et de courir jusqu’à plus soif derrière une bande de chevreuils
en déroute.
Marie Perrin
* Attention toutefois : le chat de la maison n’est
pas le chat du voisin, et le chat dans
la maison n’est pas le même qu’au-dehors de la maison. Certains chiens
peuvent très bien dormir avec leur chat, et vouloir tuer les chats du dehors,
ou dormir avec leur chat dans la maison, et vouloir le tuer à l’extérieur, dès qu’il se met en mouvement.