L’angoisse de la
solitude
Le chien est un animal social. En tant que tel, il souffre vite, et
intensément, de la solitude. Certes, l’on peut y remédier, mais avant tout,
n’est-il pas important de comprendre pourquoi la solitude est à ce point
inconfortable pour le chien ?
L’espèce canine est grégaire, ce qui signifie que le chien
s’inscrit dans le relationnel. Seul, il s’étiole. L’attachement lui est vital
car de ce lien premier découle sa capacité à apprendre son espèce : grâce
à l’attachement, le chiot va pouvoir devenir un chien. En effet, un chiot ne
naît pas chien, il le devient au contact de ses congénères.
Etre avec d’autres chiens
De quoi a besoin un animal social ? De communiquer,
de partager, de s’ajuster. Ce n’est qu’auprès de l’autre qu’il est pleinement
soi. Avec sa mère, ses frères et sœurs, il apprend les codes de son espèce,
acquiert les rituels sociaux, de communication et les auto-contrôles (morsure
inhibée et contrôle moteur), indispensables à sa future vie d’adulte équilibré.
Par la suite, il conserve cette nécessité, sinon de vivre avec des congénères,
du moins de jouer, d’interagir, de s'accorder avec eux.
Privé de cette compagnie canine, un chien est-il encore
pleinement un chien ? S’il ne peut jamais « parler » chien, s’il
ne peut jamais exercer sa force, son agilité ou tester son statut hiérarchique
avec des « copains » ou des « ennemis » canins, mène-t-il
une existence satisfaisante ? Il est en tout cas tronqué d’une part
essentielle de sa personnalité. Pourtant, par méconnaissance de la réalité
éthologique de leur animal, par peur des altercations, par incapacité à lire
les signaux de leur chien et à décrypter ses interactions, combien de maîtres
renoncent à combler cette exigence vitale ? Combien de chiens ne voient de
congénères que rarement, de loin, ou en bout de laisse ?
En interagissant avec ses congénères, le chien vit pleinement sa vie de chien
(Photo Marie Perrin)
Etre auprès de « ses » humains
Non contents de ne quasiment jamais côtoyer d’autres
chiens, nos toutous passent aussi leurs journées, leurs semaines seuls, à
(nous) attendre. Or, au cours de son développement précoce, le chien connaît un
phénomène de double imprégnation : il apprend ainsi à devenir un chien,
mais aussi un compagnon pour l’être humain, avec lequel il est amené à former
société.
De tous les animaux familiers, le chien occupe une place à
part. C’est en tout cas ce que soutient Dominique Guillo dans son ouvrage
« Des chiens et des humains », où il écrit que « le chien a bel
et bien quelque chose d’unique : on le trouve dans toutes les sociétés
humaines, depuis toujours ». Les premières découvertes fossiles remontent
à 14 000 ans avant l’ère chrétienne. Mais tout indique qu’en réalité, le chien
cohabitait déjà avec les hominidés du Néolithique, soit bien avant « homo
sapiens sapiens » (notre ancêtre), ce qui fait de lui l’animal le plus anciennement
domestiqué.
Dominique Guillo ajoute que « les chiens ne
constituent (...) pas une espèce sauvage simplement apprivoisée (...) : ils
forment un groupe qui a acquis ses caractéristiques biologiques propres sous
l’effet du contact avec l’homme ». L’on prend conscience de l’importance
que revêt le noyau familial humain dans la vie du chien familier :
« ses » humains sont en quelque sorte son oxygène, là encore, il
n’est pleinement un chien qu’en relation avec son environnement vivant.
La solitude, une aberration éthologique
De la solitude, aberration
éthologique, découlent fort logiquement du stress, de l’anxiété, de la
souffrance et, in fine, des troubles du comportement. Certes, certains
individus gèreront cette situation avec une apparente facilité. Mais ils ne
sont pas la norme, loin d’en faut, et même s’ils font contre mauvaise fortune
bon cœur, rien n’indique qu’en leur for intérieur, ils ne souffrent pas en
« silence ». D’autres en revanche n’arriveront pas du tout à
s’adapter et, pour réduire leur inconfort, s’adonneront à des activités de
substitution comme des malpropretés, des vocalises, des destructions, des
comportements auto-centrés (plaies de léchage par exemple). L’intervention et
l’aide d’un professionnel seront alors nécessaires pour comprendre ce qui se
joue, ce que l’animal exprime par ce biais, et mettre en place des stratégies
adaptées.
Mais peut-être serait-il, avant
tout, judicieux de réexaminer notre lien à notre chien, de repenser ce que nous
attendons de lui et ce dont il a réellement besoin pour être bien dans ses
coussinets. Il faudrait ainsi peut-être comprendre, et accepter, qu’un chien
est avant tout... un chien ! Avec des besoins spécifiques, que nous ne
respectons pas toujours. Un animal social, programmé pour vivre avec des
humains et avec des congénères. Pas pour rester tout seul toute la journée dans
un jardin, une maison, un appartement, à ne rien sentir, rien voir, rien faire
qu’attendre, ronger son frein et s’ennuyer...
Marie Perrin
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