La dangerosité potentielle du chien de compagnie
Qu’est-ce qui fait qu’un chien est potentiellement dangereux ? Est-il possible de détecter d’éventuels signes avant-coureurs ? Voici quelques éléments de réponse et, surtout, de réflexion.
Titeuf n’est pas un pitbull, Titeuf n’est pas un chien de catégorie, Titeuf est un golden retriever mâle de 7 ans, un chien d’une de ces races qu’on décrit « gentilles avec les enfants, parfaites pour la vie de famille » (sic !). D’ailleurs, on lui donnerait le bon Dieu sans confession, avec sa bonne bouille, son air bonhomme, sa manière de vous regarder de ses beaux yeux tranquilles. Nul ne pourrait imaginer qu’en seulement quelques semaines, Titeuf a infligé plusieurs blessures très sévères. Sans prévenir, il a mordu (très fort) deux enfants et trois adultes. Sur l’échelle de Ian Dunbar, célèbre vétérinaire comportementaliste américain, Titeuf se situerait tout en haut de la dangerosité : il est sociable, tout le monde l’apprécie, personne ne se méfie de lui, mais quand il attaque, de manière extrêmement soudaine, il occasionne des dégâts sérieux.
Le cas de Titeuf suscite des questions. Notamment autour de la possibilité de savoir quel chien peut attaquer (et attaquer qui ?), et surtout avec quelle gravité. Il nous faut tout d’abord rappeler un fait : il n’existe à ce jour aucun test prédictif de dangerosité. Lorsque nous (les comportementalistes, ou les vétérinaires comportementalistes) sommes appelés pour évaluer un chien, c’est déjà trop tard : c’est qu’il a mordu. C’est certain qu’il serait beaucoup plus confortable de pouvoir agir en amont… Mais comment ?
Un peu de bon sens…
En premier lieu, en faisant appel à son bon sens. Quitte à enfoncer des portes ouvertes, il faut dire et redire qu’un chien est un chien, pas une sorte d’humain à qui il ne manquerait que la parole. Or, l’une des spécificités du chien, c’est sa mâchoire, puissante, avec laquelle il communique, se bat, se défend, prédate, tue, mange. Ses dents sont taillées pour infliger des dégâts, ses muscles crâniaux lui permettant de développer la pleine puissance de ses armes. Tout chien est susceptible un jour ou l’autre de mordre, et donc de blesser. Néanmoins, idéalement, le chien devrait savoir inhiber sa morsure : celle-ci devrait donc être brève, « sèche » et unique.
La morsure inhibée, un fondamental canin
Auto-contrôle fondamental, la morsure inhibée s’apprend entre chiots, par le jeu du mordeur-mordu. Oui mais… Malheureusement, tant de paramètre peuvent venir interférer et modifier la règle…
Par exemple la peur, ou la douleur, qui tronquent la phase de menace et peuvent pousser le chien à enfoncer ses crocs profondément, parce qu’il a très mal ou qu’il se sent menacé de mort. Ou l’instrumentalisation, laquelle peut être induite par l’humain (travail au mordant), ou découler d’un apprentissage fait par le chien – on me dérangeait, j’ai mordu, j’ai fait reculer ce qui m’ennuyait, donc je vais reproduire ce comportement puisqu’il m’apporte satisfaction… j’ai menacé, on ne m’a pas écouté, donc j’ai mordu, et comme j’ai enfin eu satisfaction, je vais reproduire la morsure. Pas la peine de menacer, ça ne sert à rien… Savoir ce qu’est un chien (avoir des notions en éthologie canine) est par conséquent l’une des clés pour anticiper les situations potentiellement dangereuses.
Parmi les situations à risque, l’on peut également citer les bandes de chiens. Nul besoin d’être devin pour se douter que dix chiens qui écument la campagne ensemble risquent de s’adonner à des activités hautement délictueuses, chacun, tel les membres d’une super équipe de foot, mettant ses capacités personnelles au service du groupe et de l’objectif (par exemple prédater un enfant). Sans compter la facilitation sociale qui naît de tels rassemblements – l’activité d’un chien se propage aux autres membres du groupe.
L’impact des méthodes éducatives
Enfin l’on ne serait pas complet sans évoquer les méthodes éducatives. L’on sait aujourd’hui que les méthodes coercitives, la violence, ont un impact délétère : 25% des chiens dressés à la dure vont développer des conduites agressives… Stanley Coren souligne que les punitions physiques, les « coups de sonnette », les cris, les colliers électriques ou à la citronnelle, les pistolets à eau ou les clôtures électriques augmentent de presque trois fois le risque d’une agression contre un membre de la famille, et de plus de deux fois le risque d’agression contre un inconnu qui pénètre sur l’espace de vie du chien.
le collier torquatus, l'un des outils de torture pour chien...
Connaître, respecter et anticiper
Pour prévenir les morsures, rien ne vaut cette sainte triade : connaître, respecter, anticiper.
Connaître : chacun devrait connaître son chien, son tempérament, sa personnalité. Pour certains chiens, la nourriture c’est sacré. D’autres sont ronchons quand on les bouscule, ne supportent pas d’être réveillés en pleine sieste, détestent qu’on empiète sur leur espace vital. Connaître son chien, ses susceptibilités notamment, va vous permettre de respecter, mais aussi d’anticiper. Si l’on vous hurle de loin, dans la rue, qu’il faut que vous remettiez votre chien en laisse, c’est peut-être tout simplement parce que le chien d’en face, pour X ou Y raison, est réactif : ce propriétaire responsable connaît son chien, et vous demande de rattacher le vôtre en anticipation, pour éviter tout accident. A vous de respecter cette requête… Et si votre chien grogne, c’est qu’il se sent menacé, ou qu’il est irrité : il vous prévient, vous demande de cesser de l’importuner, et n’a pas très envie de passer à l’acte. Si vous ignorez cette étape, vous allez le forcer à vous mordre… Un chien qui grogne prévient : cela doit être entendu et respecté.
La menace : parfaitement compréhensible entre chiens (crédit photo Céline RIVAULT)
Ne pas trop demander à son chien…
Certaines personnes veulent que leur chien soit capable de tout tolérer. Il doit « aimer » les enfants, rester placide quand on lui tombe dessus, ne pas défendre le gâteau qui vient de rouler au sol sous sa truffe, se laisser tirer les poils et les pattes, ne pas se défendre quand on l’accule dans un coin ou sous une table. Très franchement ? Il est impossible de prédire que même le plus vaillant et le plus bienveillant des Médor va tout supporter, tout le temps, parce qu’on l’aura entraîné à ça. Oui, la légitime défense dans le monde des chiens, ça existe ! Et oui, un chien aussi a ses humeurs. On ne peut pas lui demander d’être tout le temps souriant, tout le temps grand seigneur. Un jour, vieillissant, malade, ou tout simplement arrivé à saturation, ce chien si bien éduqué, que l’on pensait capable de tout encaisser, va se révolter… et attaquer !
Ainsi, ce qui fait l’éventuelle dangerosité du chien de compagnie, ce sont souvent les situations : provoquer le chien, ne pas respecter sa menace, le pousser dans ses retranchements, autant de conduites à risque. Tout chien est potentiellement dangereux : parce qu’il a une mâchoire certes (nous l’avons vu), mais surtout parce qu’il a des propriétaires, et que ceux-ci ne sont toujours respectueux de ses émotions et du bien vivre ensemble.
Enfin, dans la cohabitation avec un chien, intervient aussi la notion de personnes à risque. Les enfants notamment, ou les personnes âgées, ou certaines situations de handicap. Autant de vulnérabilités à prendre en considération. Pour anticiper afin qu’il ne se passe rien de préjudiciable…
Des profils plus problématiques…
Du côté du chien lui-même, des éléments doivent alerter : de mauvaises conditions de développement précoces, une génétique défaillante, une mauvaise socialisation et familiarisation à l’élevage (ou chez le propriétaire), autant de « mauvais points » pour le chien. Certains profils émotionnels également, comme un tempérament «hyper». Les «hyper» ne savent pas s’arrêter et ne tolèrent pas la frustration. Ils n’ont pas de phase d’arrêt. Ainsi Flip, ce caniche joueur, si joueur, tellement joueur, juvénile et sympathique (selon ses propriétaires), toujours à fond à fond… Tellement que quand un autre chien lui dit « stop, je ne veux plus », ou « ça va trop fort pour moi, j’ai peur », Flip s’énerve, entre dans des crises de rage et se bat avec férocité.
Des races plus dangereuses ?
C’est un débat houleux, auquel il est bien difficile de contribuer intelligemment. Certaines races ont été créées, puis sélectionnées pour des tâches bien précises. L’akita inu par exemple pour ses aptitudes à la chasse et au combat. Est-ce à dire qu’un akita inu ne s’entendra jamais avec des congénères du même sexe ? Qu’il développera inévitablement une certaine agressivité ? L’on ne peut évidemment pas trancher de manière aussi péremptoire.
Ainsi, si les spécificités des races doivent être prises en considération par les futurs propriétaires, le choix des lignée-géniteurs-éleveur est primordial. Tout comme les démarches entreprises par le propriétaire pour donner à son chien des conditions de vie et de développement optimales – fréquenter une école des chiots pour la morsure inhibée par exemple.
Evaluation en post-morsure
En post-morsure, l’examen minutieux des circonstances de la conduite agressive, de la séquence comportementale, et l’analyse du profil du chien et de son cadre de vie s’ajoutent à une évaluation objective des blessures pour dresser un tableau le plus complet possible. Ainsi, arrivé au terme de l’évaluation, l’on peut dire si, oui ou non, ce chien mordeur et dangereux, et prendre les mesures qui s’imposent.
Ian Dunbar divise les chiens en quatre catégories, selon leur sociabilité et leur inhibition de la morsure. Le plus dangereux de tous, évidemment, c’est notre fameux Titeuf, le bon père aux accès agressifs soudains et incontrôlés. Peut-être Titeuf a-t-il mal ? Peut-être, en bon golden, a-t-il été trop sollicité, sensibilisé à force de manipulations et de contraintes ? Dans tous les cas, en raison même des blessures qu’il inflige, Titeuf est dangereux, et doit être appréhendé avec beaucoup de tact et de rigueur (au minium).
Les Titeuf ne sont pas l’exception, néanmoins, au gré des consultations, l’on voit tant de situations à risque qui pourtant ne dégénèrent pas… que l’on finit par comprendre que dans leur grande majorité, nos chiens sont de très braves animaux… car oui, au regard de la vie que nous leur faisons souvent mener, des contraintes (énormes) qui pèsent sur eux, nous pouvons l’affirmer : nos chiens sont d’une infinie patience !
Marie Perrin
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