mardi 18 février 2014

Mon chien, ce grand coupable ?

Une fois de plus, Benji a ravagé la cuisine, vidé la poubelle, déchiqueté les emballages et tout éparpillé dans la pièce, de la table à la cuisinière. Une fois de plus, quand vous êtes rentré, il a pris cet air coupable qui vous fait dire qu’ « il sait bien qu’il a mal agi » ! Et si vous vous trompiez ? Décryptage en compagnie de spécialistes de la question.

Difficile de rester de marbre lorsqu’on rentre d’une dure journée de labeur et que l’appartement, naguère si bien rangé, ne ressemble plus qu’à un champ de bataille. Et que le coupable, Benji, une fois de plus, courbe l’échine, ploie les oreilles et, tête basse, rampe le long du mur comme pour supplier un hypothétique pardon. Souvent, c’est humain, les reproches pleuvent sur ce pauvre Benji qui, en dépit des apparences, ne comprend pas ce qui lui vaut cette soudaine ire. Plusieurs auteurs et spécialistes du chien se sont penchés sur cette notion de culpabilité, et ils sont unanimes : le chien ne peut pas se sentir coupable.
 
D'Alexandra Horowitz à Roger Abrantes

Alexandra Horowitz, dans son ouvrage « Dans la peau d’un chien », note : « Il serait bien étonnant que le mécanisme qui fait adopter à un chien un air coupable ou provocant soit le même que le nôtre. Après tout, le bien et le mal sont des concepts culturels. » Elle donne ainsi l’exemple du petit enfant qui a cassé un vase précieux : sait-il qu’il a mal agi ? Certainement pas, parce qu’il ne l’a pas fait exprès, et qu’il ne sait pas encore faire la différence entre le bien et le mal. Grâce à des expériences, la chercheuse a mis en évidence que, le chien apprenant par association, il perçoit très rapidement l’agacement ou la colère de son maître, et adopte une attitude qui, en langage corporel humain, signifie la culpabilité mais qui, en langage corporel canin, signifie l’apaisement, voire la peur.
Ainsi écrit-elle, toujours dans le même livre : « L’arrivée du maître est plus étroitement liée au châtiment que la mise à sac de la poubelle, quelques heures plus tôt. Ce sont ainsi la présence et le mécontentement du maître qui, dans la plupart des cas, font adopter aux chiens une posture de soumission – que l’on interprète comme une attitude coupable […] On aurait ici tort d’affirmer que le chien a conscience de son méfait. L’animal ne conçoit pas son comportement comme mauvais. » En fait, « l’animal sait anticiper un châtiment lorsqu’il lit la contrariété sur le visage de son maître. En revanche, il ignore tout de sa culpabilité. Il sait qu’il doit se méfier de [son maître], c’est tout »*.
 
 
Dominique Guillo tient à peu près le même discours lorsqu’il soutient que « La jalousie telle qu’elle s’exprime chez le chien qui vient se manifester bruyamment à l’attention de son maître lorsque celui-ci caresse un autre chien, ou encore la culpabilité qui se manifeste chez un chien ayant détruit une partie du mobilier en l’absence de ses propriétaires peuvent donc être considérées comme identiques, au plan fonctionnel, aux sentiments et aux expressions désignés par les mêmes mots chez l’homme. Leur existence tient à leurs effets, c’est-à-dire au fait qu’elles consistent en stratégies qui ont une même signification et une même efficacité dans une circonstance sociale particulière – amadouer ou susciter la pitié, entre autres, pour la culpabilité. Simplement, les mécanismes neurophysiologiques et psychologiques à travers lesquels ces fonctions sont accomplies sont bien différentes dans nos deux espèces, comme le suggère le fait que le chien manifeste autant de culpabilité lorsque son maître est responsable du désordre »**. Ceci a été mis en évidence par Franz de Waal grâce à une expérience menée sur une chienne de race husky, qu’il relate en 1966 dans son livre « Good Natured ».
Patrick Pageat souligne également dans « Pathologie du comportement du chien », que « malgré les intentions qu’on lui prête, [le chien] n’est aucunement désolé », ajoutant qu’« on aura reconnu, dans ces manifestations de culpabilité, des signaux d’apaisement qui ne peuvent que répondre aux signaux de menace émis inconsciemment par les propriétaires lorsqu’ils découvrent l’étendue des dégâts »***.
 
Enfin,  Roger Abrantes écrit, en 1997 : « Quand un propriétaire décrit que son chien montre des signes de culpabilité – quand il a détruit quelque chose, par exemple -, il ne s’agit en réalité  pas de culpabilité dans l’acception éthologique du terme. Il s’agit plutôt d’une réaction du chien à l’attitude du propriétaire : celui-ci suscite la soumission et la peur du chien, et ce comportement est confondu avec un acte conscient. Les chiens sont très sensibles aux attitudes de leurs propriétaires. Ainsi, si un propriétaire s’attend à ce que son chien ait détruit en son absence, il est fort probable que le chien prendra un air coupable dès qu’il rentrera chez lui. Evidemment, le chien ne se souvient pas qu’il a mâchonné les chaussures préférées de son maître, mais il a appris à anticiper la colère de son propriétaire. C’est la raison pour laquelle punir un chien après-coup n’a absolument aucun effet, sauf éventuellement à accroître le problème »****.
 
Pour rétablir son homéostasie sensorielle
 
L’on pourrait ainsi multiplier les extraits de livres signés de grands spécialistes du chien et de leur comportement, l’on retomberait toujours sur la même réalité : en l’absence d’études et d’expériences plus poussées, rien ne permet de penser que le chien ait la capacité de se sentir coupable, dans le sens où nous, humains, nous sentons coupables. Lorsqu’un chien s’adonne à des destructions, c’est pour rétablir son homéostasie sensorielle. Certains individus ne tolèrent pas la solitude, d’autres s’ennuient, d’autres enfin ont besoin de s’occuper car ils n’ont pas eu la possibilité de dépenser leur énergie. D’autres cherchent à mâchonner, leurs besoins oraux n’étant pas comblés par leurs propriétaires, tandis que d’autres ne supportent pas d’être séparés de leur être d’attachement. Enfin, certains chiens ont tout simplement fait l’apprentissage que dans la poubelle, ce restaurant gastronomique canin !, se trouvent des restes alimentaires fort appétissants... et disponibles d'un coup de patte et de croc !
Que faire lorsque vous rentrez et que Benji a tout saccagé ? Avant tout, vous calmer, aller le promener, et ranger hors de sa vue. Puis tenter de comprendre la raison de ces actes «délictueux» : Benji est-il trop attaché, trop exigeant, trop sollicitant ? A-t-il autant de promenades qu'il le voudrait ? A-t-il à disposition des jouets d'occupation ou des os à ronger ? Dans tous les cas, avant que la situation ne se dégrade trop, n'hésitez pas à prendre conseil auprès d'un comportementaliste. Lui seul peut décrypter la situation et, avec vous, mettre en place des stratégies adaptées.

Marie Perrin
 
* Alexandra Horowitez, «Dans la peau d’un chien», Champs Sciences, 2011, p.218-221.
** Dominique Guillo, « Des chiens et des humains », Poche – Le Pommier, 2011, p.165.
*** Patrick Pageat, « Pathologie du comportement du chien », éditions du Point vétérinaire, 1988.
**** Roger Abrantes, « Dog language. An Encyclopedia of Canine Behaviour », Etats-Unis, Wakan Tanka Publishers, 1997, pages 77-78, article «Conscience» (traduction Marie Perrin)

dimanche 9 février 2014

Les conduites agressives chez le chien de compagnie

Choyés, humanisés, bichonnés à l’extrême, les chiens font partie intégrante de notre paysage social. En 2012, ils étaient 7.42 millions à partager les foyers des Français. Souvent au détriment de la plus élémentaire logique qui veut qu’un chien… n’est pas un humain ! Et qu’à négliger sa réalité éthologique, à vivre avec lui sans le connaître, sans savoir comment cohabiter avec lui, l’on s’expose à des troubles graves. Notamment les conduites agressives qui, chaque année, se retrouvent en une des médias. Mais qu’est-ce qu’une conduite agressive ? Qu’est-ce qui peut motiver un chien à grogner, menacer, mordre ?
 
Nombre de chiens sont perçus comme des animaux agressifs, voire dangereux. Il n’y a qu’à penser à son propre quartier, son propre village, sa propre expérience pour trouver des exemples éloquents. « Depuis quelques années [le] nombre [de morsures] ne fait que croître dans la plupart des pays industrialisés, au point qu’elles deviennent un véritable problème de santé publique » constate Dominique Guillo*, ajoutant, pour les Etats-Unis, qu'« un Américain a en moyenne 1 risque sur 50 de se faire mordre par un chien chaque année »**.  En France, il est difficile de trouver des statistiques, mais une enquête menée entre 2009 et 2010 sous la responsabilité de l’Institut de veille sanitaire, en collaboration avec l’association des vétérinaires comportementalistes Zoopsy souligne que « les morsures de chien représentent, pour un pays comme la France, plusieurs milliers de recours aux urgences chaque année »***.

Les médias font évidemment leurs choux gras des accidents les plus tragiques, de préférence lorsqu’un enfant est très grièvement blessé par le chien de la famille, d’un voisin ou d’un ami. Car bien souvent, c’est dans l’entourage proche qu’ont lieu ces dramatiques événements, preuve, s’il en fallait, que la conduite agressive est souvent la résultante d’un dysfonctionnement relationnel au sein du microcosme de vie de l’animal.
 
Malheureusement, dire d’un chien qu’il est « agressif », c’est l’étiqueter, l’enfermer dans une case, ne plus voir l’individu dans sa globalité et sa complexité. Car un chien n’est jamais agressif tout le temps, il l’est généralement de manière ponctuelle, et pour une raison précise. De surcroît tous les chiens, même les plus pacifiques, sont susceptibles, un jour ou l’autre, de jouer de leur denture pour se défendre, ou faire valoir leur position. Enfin, l’on ne saurait passer sous silence la grande responsabilité des propriétaires dans les agressions dont leurs chiens se rendent coupables, parfois, avouons-le, en état de légitime défense.
 
Les humains frappent, les chats griffent, les chiens mordent 
 
L’agressivité fait partie du répertoire comportemental des chiens, ainsi que des humains et de bien d’autres espèces. Les humains frappent, les chats griffent, les chiens mordent. Konrad Lorenz voit en elle un instinct de survie****. La conduite agressive vise à obtenir, ou à faire cesser. Assurer sa suprématie sur un congénère par exemple, ou faire cesser la douleur d’une manipulation. Elle se décompose généralement en plusieurs phases distinctes : la menace, qui sert à prévenir et qui doit être respectée en tant que telle – un chien qui menace est sain, il avertit qu’il n’a pas envie de passer à la phase suivante, mais que si on l’y oblige, il le fera. Puis vient la morsure, idéalement brève et sèche*****, suivie d’une phase d’apaisement – léchage de l’individu qui a été mordu par exemple (un chien qui lèche la main qu'il vient de mordre ne demande pas pardon, contrairement à la croyance populaire, il se contente d'apaiser son «adversaire» tout en signifiant sa victoire).
 
les conduites agressives entre chiens : une interaction parmi d'autres...
(photo Laurence Bruder Sergent)

La première constatation coule de source : un grand nombre de morsures pourraient être évitées si les propriétaires n’insistaient pas lorsque leur chien grogne. En se disant « c’est moi le chef, il doit m’obéir et ne doit pas grogner contre moi », ils s’exposent tout logiquement à se faire mordre. Mais alors, que doit-on fait lorsqu’un chien grogne ? Tout simplement reculer, puis prendre rendez-vous avec un spécialiste du comportement, qui analysera les causes de cette conduite et mettra en place les stratégies pour apaiser la situation.
 
Quelles causes peuvent conduire un chien à adopter une conduite agressive ?
 
Les conduites agressives sont multiples. Elles peuvent être de nature défensive ou offensive, s’exercer sur un congénère ou sur un individu d’une autre espèce. Un chien peut vouloir protéger excessivement ses humains, gérer les interactions de son être d’attachement, défendre son lieu de vie, ou ses ressources, il peut aussi reproduire ce qu’on lui fait subir – car oui, la violence engendre la violence****** !
 
Moyer, éthologue américain, a classifié les conduites agressives en 1969. Parmi celles-ci, l’on peut citer l’agression par peur, qui est peut-être l’une des plus courantes, et pourtant l’une des moins bien identifiées par les propriétaires. La peur peut même modifier la séquence, rendre la menace ténue, voire inexistante, et le passage à l’acte très brutal. La laisse favorise ces agressions par peur puisque le chien n’a aucun moyen de se soustraire à ce qui l’effraye. L’on ne soulignera jamais combien les nez à nez en laisse sont à proscrire (surtout si les chiens ne se connaissent pas, ou peu). Concernant la laisse, je pense ainsi à une chienne adolescente (berger allemand) qui, entravée, aboie avec une férocité déconcertante, semblant vouloir réduire tous ses congénères en menus morceaux et qui, une fois libre, est la convivialité et la jovialité incarnées…
 
Les chiens sont également susceptibles de grogner ou de mordre lorsqu’ils ont mal, ou lorsqu’ils sont soumis à une contrainte désagréable. Là encore, le bon sens devrait prévaloir : certains propriétaires ne se rendent pas compte du risque qu’ils encourent quand ils attrapent leur chien « coupable » d’une bêtise par les poils, par une partie de son corps, voire qu’ils le secouent pour punition (le fait de secouer un chien, rappelons-le, équivaut en langage canin à une volonté de mise à mort).
 
Un chien apprend par ailleurs très rapidement que la morsure fait cesser le désagrément : il n’hésitera pas en user la fois suivante, et de manière de plus en plus rapide, sans signes annonciateurs. C’est ce qu’on appelle l’instrumentalisation : le chien a découvert qu’il pouvait utiliser la morsure pour qu’on arrête de l’embêter.
 
Le mordant : le chien apprend à instrumentaliser la morsure... (Photo Marie Perrin)
 
 

Une autre catégorie est également mal connue des propriétaires. Il s’agit des agressivités redirigées : ainsi, un chien passe dans la rue. Derrière le portail, se trouvent deux autres chiens, fort irrités de cette déambulation. Incapables de s’en prendre directement à l’objet de leur courroux, ils peuvent se retourner l’un contre l’autre et s’agresser.
 
Enfin (mais cela fera partie d’un article dédié ultérieurement), que de morsures (graves) pourraient être évitées si les parents contrôlaient strictement la cohabitation de leurs enfants et de leur chien ? Ainsi, lorsqu’un gâteau tombe sous la table, enfant et chien se précipitent souvent pour le ramasser… avec comme résultat logique une morsure, parfois sévère ! Et là encore, le chien a beau être dans son « bon droit », il est le coupable tout désigné, celui que l’on châtie durement pour la faute.
 
Comment éviter les conduites agressives ?
 
La plupart des conduites agressives ne sont pas une fatalité. Avant tout, il convient de savoir « gérer » son chien, c’est-à-dire lui donner un cadre de vie clair et lisible, qui corresponde à ses besoins éthologiques. Un chien qui suit paisiblement son leader n’a aucune raison de vouloir le « défendre » dans la rue, et s’en remet à lui même dans les situations d’inconfort.
 
Respecter les besoins du chien, apprendre ses codes, bien communiquer avec lui sont aussi de bonnes garanties contre d’éventuelles conduites agressives. Ainsi, l’on ne doit jamais déranger un chien qui mange, qui dort, qui se réfugie dans son panier. Savoir décrypter les attitudes d’un chien permet aussi de détecter la peur, la contrariété ou l’irritation, et d’agir en conséquence. Certains chiens sont rendus agressifs par le manque d’exercice ou de contacts avec des congénères. Enfin, l’on n’insistera jamais assez sur l’importance du travail de l’éleveur, qui doit œuvrer pour que les chiots qu’il a fait naître se développent dans des conditions optimales pour leur équilibre futur.

 
Marie Perrin



* Dominique Guillo, « Des chiens et des humains », Poche-Le Pommier, 2011, p.17.
** Ibid..
*** http://www.invs.sante.fr/publications/2011/morsures_chiens/rapport_morsures_chiens.pdf

**** Konrad Lorenz, «L’Agression», Champs Flammarion, 1993.
***** Il existe différents types de morsures, qui équivalent à différents profils de chiens : les comportementalistes ont des grilles d’évaluation leur permettant de classifier la dangerosité potentielle du chien qui a mordu. Idéalement, la morsure est brève et sèche car elle ne sert pas à tuer. Mais de mauvaises conditions de développement, ou des apprentissages délétères peuvent modifier la typologie de la morsure. Dans tous les cas, pour toute conduite agressive, il est conseillé de faire appel à un spécialiste du comportement.
****** Claude Beata, « La Psychologie du chien », Odile Jacob poches, 2008, p. 162 : « La punition physique engendre de la douleur et de la peur et peut donc déclencher des réponses agressives. Elle est à proscrire ».

jeudi 23 janvier 2014

Vie de comportementaliste : les grands moments de solitude...

Le métier de comportementaliste réserve parfois de grands moments de solitude. Ainsi, pour moi, ce soir de novembre 2013 au domicile d’une famille strasbourgeoise… Un moment de solitude qui a duré… deux heures !

C’est l’une des bases du métier : ne pas entrer en interaction avec le chien pour lequel on a été appelé, pas de regard, pas de contact, pas de parole. Mais cette consigne, au demeurant fort logique (souci de neutralité, montrer éventuellement la voie de la résolution aux clients) allait me valoir deux heures un peu….Bruyantes !

Ce soir de novembre 2013, j’avais rendez-vous chez un couple de personnes âgées et leur fils quadragénaire pour leur caniche toy, le bien-nommé Abricot (puisqu’il est de couleur abricot). Comme d’habitude, je suis arrivée à l’heure dite, me suis présentée, suis entrée sans regarder Abricot, sans lui parler, sans le toucher, évidemment… Evidemment… Evidemment !!! sauf que je venais de commettre là une grave, très grave erreur ! Roi des lieux et de ses maîtres (eh oui, on est souvent plus laxiste avec un mini-chien qu’on peut materner qu’avec un molosse de 50 kilos), Abricot n’avait pas l’habitude d’être traité avec autant de désinvolture, et il n’entendait pas laisser passer cet « affront » sans réagir !
 

Deux heures de calvaire auditif…
Abricot se lança donc dans une salve de vocalisations intempestives, et particulièrement aiguës ! Les propriétaires m’ont appris, un peu gênés, que leur chien avait l’habitude d’accueillir les invités en aboyant. Qu’il était d’usage que lesdits visiteurs lui prêtent allégeance en le caressant, et qu’alors seulement il s’apaisait et se taisait… Suivant scrupuleusement les préceptes de la consultation idéale, j’avais dérogé à la sacro-sainte règle d’Abricot… Et celui-ci, peu résistant à la frustration, en avait fortement pris ombrage !…

La consultation allait durer deux heures, deux heures au cours desquelles Abricot n’a quasiment pas cessé d’aboyer... Hormis très courts endormissements. Mais sitôt l’œil à nouveau ouvert, me voyant toujours là, il reprenait ses protestations sonores là où il les avait laissées pour s’endormir.
Mais où était donc ma bouteille magique ? Je l’avais bien sûr oubliée chez moi ! Ne pouvait-on périphériser Abricot ? Point, car le soir, les chats rôdent, et qu’Abricot aimant les chasser…… Je menai donc cahin-caha ma consultation, digne dans le bruit ambiant… et mis au point les stratégies ad hoc lesquelles, fort heureusement, semblent porter leurs fruits… puisqu’Abricot n’a désormais plus le droit d’imposer sa présence (phonique notamment) aux invités !

 Marie Perrin

lundi 13 janvier 2014

Une séance d'éducation collective chez un(e) comportementaliste...


Conditionner son chien : en quoi les manières de procéder des comportementalistes sont-elles intéressantes ?

A priori, on peut aisément penser que pour conditionner son chien, pas besoin d’en passer par un comportementaliste. A partir du moment où l’on opte pour le renforcement positif, le dressage devrait être identique, que l'on soit suivi par un comportementaliste ou dans un club canin.

Pourtant, la différence est importante. Pour ne pas dire essentielle, ou fondamentale.

Tout d’abord, un comportementaliste ne visera (normalement) que l’éducation de base : les ordres simples, qui servent dans la vie de tous les jours. Il apprendra également aux propriétaires à renforcer la relation qu’ils entretiennent avec leur animal, la confiance, la complicité, au travers d’exercices simples et ludiques. Il ne se focalisera pas sur une marche au pied de concours, mais montrera plutôt aux maîtres, souvent débordés, comment ne pas être tirés par leur chien. Enfin, formé à l’éthogramme du chien, il saura décrypter les moments de tension ou de stress, les temps de fatigue aussi, et s’adaptera aux états émotionnels des individus qui composent son groupe.

Mais surtout, le comportementaliste, lors de ses séances collectives, pratiquera plusieurs lâchers de tous les chiens présents, quel que soit leur âge, quelle que soit leur taille, quelle que soit leur morphologie. Les moments de travail seront beaucoup moins longs que les plages de liberté, où les chiens pourront interagir les uns avec les autres. Souvenons-nous que le chien est un animal social, qui a besoin de pouvoir communiquer avec des congénères, qui a besoin d’exercer sa grammaire corporelle, de s’ajuster et de jouer avec des « copains » ou des moins copains », et d’affiner son langage canin. Seuls des cours collectifs où les chiens sont lâchés tous ensemble, comblent ces besoins, vitaux pour les chiens et pourtant souvent négligés par les propriétaires.

Voici, en illustrations, ce que peuvent donner des cours collectifs lorsqu’ils sont dirigés par une comportementaliste, en l’occurrence, ici, Zita Nagy, qui officie au club canin de Geispolsheim, dans la région strasbourgeoise*.

Marie Perrin

Crédit photos : Laurence Bruder-Sergent, Vox Animae. Toute reproduction interdite.
 


















 









 




* La plupart des comportementalistes proposent des cours collectifs à titre professionnel. Zita Nagy intervient en club canin, de manière bénévole, et pratique un lâcher collectif de plusieurs dizaines de chiens… D’autres comportementalistes, dans d’autres clubs canins, proposent sans doute l’équivalent, mais je ne peux ici parler que de ce que je connais, dans ma région (le Bas-Rhin)…

lundi 16 décembre 2013

Le détachement, ou l’apprentissage de l’autonomie


Dans un précédent article, je vous avais parlé de l’attachement,ce lien vital. Mais l’attachement, s’il est premier, primordial, doit impérativement s’accompagner ensuite d’un détachement.  Gage de l’autonomie du chien adulte, cette étape, initiée par la mère, doit être poursuivie par les propriétaires. L’hyper-attachement est en effet l’une des causes principales des troubles du comportement chez le chien. Or, contrairement à ce que l’on peut penser, se détacher ne signifie pas aimer moins, mais aimer mieux, en permettant à l’animal de vivre sereinement.
Une petite boule de poils vient de faire son entrée dans votre vie, chavirant votre cœur. Elle vous suit partout, se love dans vos bras, se niche au creux de votre épaule sur le canapé. En soi, rien que de très normal. Néanmoins, rapidement, il va falloir mettre en place quelques règles fort simples, qui permettront à votre animal de grandir psychiquement, jusqu’à devenir un chien adulte équilibré.
L’attachement étant, comme nous l’avons déjà vu, un lien vital, je conseille (mais c’est mon opinion), de garder le tout petit chiot près de soi la nuit, dans la chambre. Il vient juste de quitter sa fratrie, sa maman, il est désorienté. Le chien, ne l’oublions pas, est un animal social, qui souffre fortement de la solitude. Il n’est donc pas aberrant de l’installer à côté du lit les premiers temps - cela permettra aussi de gérer les éliminations nocturnes, et favorisera l’apprentissage de la propreté.
Peu à peu, les semaines passant, on l’éloignera du lit puis on lui attribuera une place, soit dans un coin de la chambre, soit en dehors de la chambre, dans une pièce dédiée. Et l’on s’attachera à pratiquer ce détachement qui manque si souvent à nos chiens de compagnie, collés-serrés à leurs propriétaires, exigeants, capricieux même parfois, et puis soudain laissés de longues heures dans leur solitude comme si elle allait de soi, comme si elle n’était pas, pour cet animal hyper-attaché, une souffrance effroyable. Ce chien-là n’aura pas d’autre solution, pour soulager sa détresse, que de s’adonner à des activités de substitution – pleurer, hurler, aboyer, gratter les portes, détruire le mobilier, se lécher compulsivement les pattes, uriner et déféquer dans l’habitation.
Le détachement en quelques points
Le détachement est en fait assez simple à mettre en œuvre, et très logique. Il suffit de rester à l’initiative des moments-clés de la vie du chiot (ou du chien). C’est ainsi au maître de proposer les caresses, les jeux, les interactions, les déplacements, les promenades. Il convient de prendre rapidement l’habitude d’appeler le chiot à soi pour le câliner, de décider des moments de jeux, en ayant des jouets dédiés à ces interactions privilégiées (jouets que l’on range ensuite). Certains propriétaires apprécient d’avoir leur chien à côté d’eux sur le canapé. En l’absence de pathologie comportementale, je n’y vois aucun inconvénient, mais préconise de procéder comme suit : ce n’est pas au chien (chiot) de décider de lui-même de venir sur le canapé, il doit y grimper en ayant préalablement été invité à le faire, et doit en descendre sur ordre, sans rechigner.
Autre étape du détachement : interdire certaines pièces à l’animal et, plus important, qu’il ne suive pas ses maîtres partout, tout le temps. En pratique, on lui demandera par exemple de rester tranquillement dans son panier ou à sa place pendant que l’on se déplacera dans une pièce, ou que l’on préparera le repas. L’animal aura préalablement été défoulé puis gratifié, éventuellement, d’un os ou d’un jouet d’occupation - un kong ou un jouet à mâchonner non destructible, ce qui l’occupera, le fatiguera et le bercera. Un parc à chiots ou une porte ajourée peuvent s’avérer de précieuses aides dans cet apprentissage.
 
 
on apprendra progressivement au chien à rester à sa place - panier, tapis ou couverture
(Photo Marie Perrin)
 
Evidemment, il faut y aller progressivement. Au départ, on reste à vue puis, peu à peu, on s’éloigne et on se soustrait au regard du chiot (chien), puis on passe dans une autre pièce, et ainsi de suite. Et l’on ne régit pas, ni ne revient, tant que le chiot – ou le chien - vocalise ou gémit. Il faut garder à l’esprit qu’un apprentissage sain et durable passe par la récompense des bons comportements et l’ignorance des attitudes non désirées. Ainsi, le chien est guidé pas à pas vers la maturité, et vers une existence en société humaine harmonieuse et paisible.
Marie Perrin

samedi 23 novembre 2013

Réussir son binôme maître-chien

Nombre de binômes maître-chien sont mal assortis. Une erreur qui peut avoir des conséquences catastrophiques : difficultés relationnelles, troubles comportementaux et parfois, au bout, un abandon, voire une euthanasie en cas de conduites agressives. On ne le répètera jamais assez : un animal n’est pas un objet, n’en déplaise au législateur, et l’adoption d’un chien doit être un acte réfléchi. Mais quelles questions se poser pour faire le bon choix ?
 
Tout d’abord, il faut avoir conscience qu’en moyenne, nos chiens de compagnie ont une espérance de vie d’une dizaine d’années, moins pour les races géantes, beaucoup plus pour certaines petites races (ou petits croisés). Durant cette décennie, il vous faudra promener votre chien, malgré la pluie, la nuit et le vent, le défouler, lui consacrer du temps, l’éduquer aussi, et évidemment penser aux vacances (l’emmener avec soi ? trouver un mode de garde adapté ?) : autant de contraintes que vous devez absolument prendre en considération. Si vous passez 60 heures par semaine au travail, que vous êtes toujours entre deux trains ou deux avions, que vous n’aimez rien tant que lire votre journal devant la télé ou que vous détestez les activités nature, abandonnez tout de suite l’idée de prendre un chien…
 
Deuxième étape : vous pensez avoir toutes les qualités requises pour accueillir un chien chez vous. Vous êtes tonique, aimez vous promener, travaillez à domicile ou, au moins, avez la possibilité de rentrer à la pause déjeuner bref, tout semble se conjuguer favorablement. Mais voilà, ce serait votre tout premier chien… est-ce rédhibitoire ? Eh bien non, à condition, évidemment, de vous informer préalablement. Le chien nous est si familier que chacun pense savoir ce qu’il est, comment s’en occuper, le dresser, vivre avec lui. Et bien souvent, toutes ces croyances populaires sont à mille lieues de la réalité éthologique de l’animal. Donc finalement, votre prétendue « incompétence » en la matière est peut-être votre principal atout ! N’hésitez pas à faire appel à un comportementaliste, qui vous délivrera quelques conseils pour partir du bon pas, et de la bonne patte dans votre vie à deux ! Un peu de lecture – le même comportementaliste pourra vous fournir une petite bibliographie -, et le tour sera joué !
 
Vient ensuite le moment du choix de son animal. L’important, que l’on opte pour un chien de race ou pour un bâtard, pour un chiot d’élevage ou pour un chien de refuge, c’est de s’assurer que votre mode de vie s’adaptera au tempérament de votre futur compagnon. Attention, car contrairement aux idées reçus, la taille ne fait pas tout : un Jack Russel, race ô combien prisée, notamment dans les grandes agglomérations urbaines, est infiniment plus tonique qu’un dogue allemand ! Prenez le temps de vous renseigner sur les besoins des races qui vous plaisent et évitez de ne craquer que sur certains détails physiques – chien à la mode, couleur des yeux, apparence générale. Vous aimeriez bien un braque de Weimar, mais vous habitez en centre-ville, ne goûtez pas les sports canins et adorez les chiens plutôt tranquilles ? Vous risquez de faire son malheur… et le vôtre par la même occasion ! Les comportementalistes le savent bien, qui interviennent si souvent auprès de propriétaires de borders collies débordés…
 
Si vous choisissez d’adopter votre chien dans un refuge, faites tout simplement confiance aux bénévoles qui s’occupent de lui : eux seuls, ainsi que les professionnels qui ont soigné et évalué l’animal, peuvent vous apporter les réponses adaptées. Ils connaissent le profil émotionnel, les qualités et capacités, les niveaux individuels d’énergie des chiens qu’ils accueillent. S’ils vous conseillent un animal, laissez-vous guider…
 
Enfin, si vous décidez d’acquérir un chiot, de race ou pas, faites bien attention à l’endroit où vous le cherchez. Ainsi, si vous habitez en rase campagne, évitez de choisir un chiot qui aurait grandi en ville, dans un milieu extrêmement stimulant. L’inverse est vrai, évidemment, mais vous vous en apercevrez plus vite : un chiot qui a grandi loin de tout, dont on a négligé la familiarisation, souffrira le martyre (et ses maîtres avec !) lorsqu'il sera immergé dans un environnement urbain. Il aura peur de tout, semblera incapable de s’adapter à la moindre nouveauté, sera hautement stressé. Renseignez-vous aussi sur le tempérament des parents de votre futur chiot et n’hésitez pas à vous fier à ce que votre instinct vous souffle.
 
Et dans tous les cas, au moindre doute, à la moindre anicroche, à la moindre difficulté, n’hésitez surtout pas à vous faire aider : des éducateurs et comportementalistes compétents sont là pour répondre à vos interrogations, quelles qu'elles soient…

 
Marie Perrin





mardi 19 novembre 2013

Les signaux d'apaisement : une grammaire efficace

Educatrice de renommée internationale, fondatrice de l’école des chiots norvégienne, Turid Rugaas a voué sa vie aux chiens et à leur bien-être. Elle les a regardés vivre et interagir, a essayé de les comprendre. Durant plus de dix ans, elle a notamment analysé le langage corporel du chien et ses recherches sur les signaux d’apaisement sont aujourd’hui mondialement connues.
 
Les chiens possèderaient un répertoire d’environ trente signes, peut-être plus. Les uns servent à s’apaiser soi, d’autres à apaiser l’autre. Tous les chiens n’utilisent pas tous ces signaux : certains individus ont un vocabulaire plus riche que d’autres. Ils les utilisent entre eux, pour communiquer avec leurs congénères, mais aussi avec les êtres humains, lesquels malheureusement ne les comprennent pas toujours.
 
Or lorsqu’on ne prend jamais en compte les signaux émis par le chien, on court le risque de le voir développer des troubles du comportement, des conduites agressives, de la nervosité ou du stress. C’est pourquoi il semble important de parler de ces signaux et de former les gens à les reconnaître et à les respecter.
 
 
 
En cours d’éducation, un chien qui s’ébroue, se gratte, bâille ou se met soudain dos tourné se fait généralement rabrouer et vertement tancer. Il ne fait que notifier son inconfort, mais les humains le soupçonnent aussitôt d’indiscipline, de désobéissance, voire de rébellion… et le houspillent !
 
Quel apprentissage ce chien fait-il ainsi ? Tout simplement que ses signaux, socle d’une vie sociale harmonieuse, ne servent à rien dans un monde d’humains. Un facteur de stress intense, évidemment. Et un coup de canif de plus dans la communication interspécifique, déjà bien malmenée par les incroyables exigences que nous faisons peser sur nos chiens... Et par l’incroyable anthropocentrisme dont nous faisons preuve en permanence, incapables de nous adapter à la spécificité de l’autre, du différent.
 
Quels sont ces signaux ?
 
Bâiller, se lécher, tourner le dos ou la tête, s’arcbouter (posture de salut ou d’appel au jeu), renifler le sol, marcher lentement ou en arc de cercle, se figer, s’asseoir ou lever une patte, « sourire », remuer la queue, coller les oreilles sur le crâne, s’allonger ventre contre terre, se lécher les babines, uriner sous soi, s’ébrouer : autant de signaux très clairs entre chiens, qui peuvent se combiner entre eux pour former toute une grammaire du « bien vivre ensemble ». Les chiens ne s’y trompent pas, il n’y a que nous pour n’y rien comprendre!
 
Et pourtant, à force d’entraînement, l’on se rend compte que certains signaux sont très aisés à reconnaître. L’on peut même, ensuite, en utiliser certains soi-même pour apaiser son chien, ou un chien inconnu. Tourner la tête face à un chien, avancer lentement ou en arc de cercle, se faire plus petit : autant de possibilités pour lui signifier que nos intentions sont pacifiques. 
 
Certains auteurs préconisent ainsi d’utiliser les positionnements pour apaiser son chien lorsqu’il manifeste de l’anxiété : ainsi, en cas de peur d’un événement donné, se mettre dos au « danger » (perçu comme tel par le chien) mais face au chien. Ceci a valeur anxiolytique et a souvent pour effet de faire immédiatement baisser la tension de l’animal.
 
Un vrai langage corporel
 
Evidemment, tout ceci n’a pas valeur scientifique : les conclusions de Turid Rugaas n’ont jamais été validées dans des laboratoires d’éthologie. Néanmoins, même s’il s’avérait que le terme « apaisement » n’est pas approprié, tous ces signaux n’en demeurent pas moins un vrai langage corporel, émis par les chiens pour signifier leurs intentions, leur inconfort, bref éviter de rentrer en conflit…
 
Et si d’aucuns, dans la cynophilie française, se gaussent de l’intérêt que nous pouvons porter à leur décryptage, et du soin que nous mettons à les respecter, qu’importe ! Nos chiens, eux, nous montrent tous les jours, par leur quiétude et sérénité, que nous sommes indubitablement dans le vrai…
 
Marie Perrin