lundi 21 avril 2014

Et s’il ne lui manquait que la parole ?



Menée par Attila Andics, chercheur au MTA-ELTE Comparative Ethology Research Group de Budapest, une étude a récemment mis en évidence que les chiens sont sensibles aux émotions véhiculées par la voix humaine*. Bien plus, les zones cérébrales activées par les sons sont identiques chez les deux espèces. Décryptage d’une découverte majeure.

Budapest est un vivier d’éthologues spécialisés dans l’analyse du chien domestique. L’on connaît bien sûr Adam Miklosi, mais bien d’autres scientifiques travaillent à mieux connaître notre meilleur ami. Parmi ceux-ci, Attila Andics, qui s’est penché sur la manière dont le cerveau de l’être humain et celui du chien traitent des informations vocales et sonores.

Au cours d’une étude antérieure, Andics avait démontré que les humains font la différence entre des aboiements joyeux et des aboiements tristes. Il alors souhaité savoir si la réciproque était vraie, et les conclusions de ses recherches ont dépassé ses espérances.

L’expérience d’Attila Andics

L'équipe d'Andics a travaillé avec un groupe de 11 chiens, constitué de borders collies et de golden retrievers. Durant 5 mois, les chiens ont été entraînés par les chercheurs, avec la complicité de leurs propriétaires, à subir une IRM calmement, sans éprouver de stress ou d'émotion qui pourrait parasiter le résultat des tests. Une fois qu’ils étaient capables de rester calmement dans l’appareil, Attica Andics leur a fait entendre 200 sons différents – des aboiements, des vocalisations humaines, des bruits environnementaux.


La «team» canine d'Attila Andics

Puis 22 cobayes humains ont été soumis aux mêmes stimulis auditifs. Lorsqu’Andics et son équipe ont analysé les résultats, ils ont certes découvert des différences – le cerveau humain est ainsi presque exclusivement dédié à l’analyse de la parole, ceci sans doute en lien direct avec l’acquisition du langage articulé par notre espèce. Mais ce qui les a enthousiasmés, eux et d'autres scientifiques à travers le monde, ce sont les similitudes de fonctionnement des cerveaux canins et humains.

«Cela montre que les chiens et les humains ont des processus cérébraux similaires en ce qui concerne l'interprétation sociale des sons», explique Andics**, ajoutant que « les chiens et les humains partagent un environnement social analogue ». La raison d’une telle proximité serait à chercher très loin en arrière, il y a 100 millions d’années plus tôt, chez l’ancêtre commun aux deux espèces – également commun à un très grand nombre d’autres espèces, des baleines aux chauves-souris, en passant par les ongulés, les primates ou les rongeurs. Ce qui permet à certains biologistes de postuler que cette similitude dans le traitement cérébral des informations auditives pourrait être mise en évidence chez bien d'autres animaux.




Quelle implication dans notre relation au chien ?

Cette faculté commune pourrait expliquer la réussite de la communication vocale entre nos deux espèces, estime Attila Andics. L’on ne doit néanmoins jamais oublier que les chiens et les humains cohabitent depuis des temps extrêmement anciens – certains spécialistes pensent que les canidés accompagnaient déjà les hominidés pré-humains. Depuis, ils cheminent côte à côté, co-évoluant de conserve. Ceci pouvant peut-être aussi venir expliquer cela...

Au cours des derniers siècles, des dernières décennies même, notre relation à notre meilleur ami a considérablement évolué. L’époque des chiens de ferme, attachés dans la cour, nourris des restes de tables, de pain et de lait, est quasiment révolue. Le chien vit avec nous, dans nos maisons, choyé, gâté, maltraité aussi, et chaque propriétaire, en son for intérieur, se dit souvent qu’« il ne lui manque que la parole »... « Il sait quand je suis triste » et semble tout comprendre... L’étude d’Attica Andics vient ainsi valider scientifiquement certaines de ces intuitions.

Mais au-delà, ce qu’il faut sans doute retenir de cette expérience, c’est que les chiens sont sensibles aux émotions véhiculées par la voix de leurs humains. Qu’est-ce que cela signifie, implique concrètement ? Tant dans la vie quotidienne que dans la manière dont nous pouvons, ou devons concevoir notre relation aux chiens domestiques, ainsi, évidemment, que leur « éducation » ?

Nous ne pouvons rien leur cacher...

Tout simplement que nous ne pouvons vocalement rien leur cacher. Ainsi notre chien perçoit-il l’agacement dans notre voix, nos intonations de courroux quand bien même nous tentons de le masquer. Il sait, il sent, il perçoit. Par exemple, s’il a pris son temps, tout son temps, à revenir à notre rappel... nous savons pertinemment que nous ne devons pas nous énerver mais notre voix nous trahit malgré nous. Et voici que soudain, notre chien ralentit l’allure, nous approche de biais, sort subrepticement un petit bout de langue... Ayant bien saisi notre contrariété, il s’apaise et nous apaise... La prochaine fois, il hésitera peut-être encore plus à revenir vers nous...

Emma Parsons, qui rééduque les chiens dits « agressifs » grâce au clicker, soutient exactement la même chose lorsqu’elle écrit dans son ouvrage « Click to Calm » que le son du clicker étant neutre***, il ne véhicule pas d’informations indésirables. A contrario de la voix qui, quoi que nous tentions, transmet au chien nos émotions les plus intimes. Comme la peur, source de grand nombre de comportements agonistiques.

Enfin, Attila Andics a également (surtout ?) mis en évidence que les chiens comme les humains réagissent plus fortement aux émotions positives qu'aux émotions négatives. Et peu importe, pour les uns comme pour les autres, qu'il s'agisse d'un éclat de rire ou d'un aboiement de jeu...

Marie Perrin

Quelques vidéos sur l'expérience de l'équipe d'Anders :

http://archive.jconline.com/VideoNetwork/3232711281001/Dogs-understand-human-emotion-says-study

https://www.youtube.com/watch?v=LKN-Xj6ffqI


* Résultats parus dans la revue « Current Biology ».
** Propos rapporté sur le site Science Now, traduction de l’auteure
*** Emma Parsons, « Click to Calm », Etats-Unis, Karen Pryor Clicker Training, 2005.


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