lundi 18 avril 2016

Mon chien «aime»-t-il ses séances d’éducation ?

A quoi sert le dressage ? Comment démêler l’utile de l’inutile, voire du toxique ? Comment savoir si un chien apprécie ses séances d’éducation ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre dans cet article.
 
Pour un grand nombre de propriétaires, la question ne se pose même pas : un chien doit être dressé. Le monde cynophile, lui aussi, prône le « travail » du chien. Du côté des comportementalistes en revanche, le conditionnement fait débat. Comment se sortir de ces injonctions (voire de ces idéologies) contradictoires ?
 
Sans vouloir enfoncer des portes ouvertes, toute existence en société nécessite que l’on se plie à des règles de base. Dès lors qu’un chien rentre dans une habitation, qu’il ne vit pas « à la sauvage », libre de ses mouvements dans une campagne reculée, il va devoir faire un certain nombre d’apprentissages, notamment la propreté ou la marche à la laisse. Certes, nul besoin d’en passer par des conditionnements complexes, mais même le minimum syndical de la cohabitation homme-chien relève déjà de l’éducation. Et si l’on souhaite pratiquer une activité avec son chien, là encore un petit conditionnement est indispensable. Même un sport aussi basique que le canicross nécessite que le chien soit capable d’exécuter des ordres simples (en avant, stop, droite, gauche). Pour le coureur en tout cas, cela peut s’avérer vital !
 
Rappelons que le chien est l’espèce la plus anciennement domestiquée*. Nous cohabitons depuis si longtemps que certains chercheurs n’hésitent pas à soutenir l’hypothèse que le chien et l’humain on co-évolué*. Que nous ne serions peut-être pas ces humains-là si nous n’avions pas eu nos chiens. Nos éboueurs, nos auxiliaires de chasse, nos commensaux, nos partenaires de travail. Tous les chiens ne sont peut-être pas faits pour travailler, mais un grand nombre d’entre eux le sont, et pour leur plus grand malheur leurs journées s’étirent dans l’ennui entre le canapé, la fenêtre, ou un bout de jardin en solitaire.
 
Un besoin d’activités exacerbé
 
Chiens de chasse, de garde, de troupeau, de sport : La FCI reconnaît 335 races. Sur la plupart, l’être humain a imprimé sa marque. Grâce à la sélection, les éleveurs ont modifié (et modifient encore) les morphologies. Ils ont aussi façonné les aptitudes physiques et psychiques afin de rendre les chiens performants pour certaines tâches précises. Garder des vaches ou des moutons, avec un berger ou en autonomie, traquer un animal sauvage ou le débusquer dans sa tanière, chercher du gibier et l’apporter au chasseur, aider au sauvetage aquatique, tirer des traineaux dans la neige. Certaines lignées de certaines races ont été tant et tant manipulées génétiquement pour correspondre aux besoins des humains que les sujets de ces races peuvent développer de graves troubles du comportement lorsque leur mode de vie n’est pas adapté : anxiété, agressivité, hyperactivité. Certains chiens ont besoin de travailler, c’est malheureusement inscrit dans leurs gènes. Ainsi cette petite border collie née dans une ferme, dont les géniteurs travaillaient au troupeau, et qui a été adoptée en ville : elle n’avait pas six mois que déjà, sa vétérinaire lui prescrivait des antidépresseurs.
 
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«regarde-moi» : un conditionnement utile
 
Et du côté du chien, qu’en est-il ? Que nous dit-lui, lui, de ce que nous pensons « le mieux » pour lui ? Certains chiens ont un besoin d’activité exacerbé. Se promener, randonner, courir ne leur suffit pas : il leur faut exercer leurs neurones, et de préférence tous azimuts. S’amuser à rentrer dans des boîtes de plus en plus petites, grimper à reculons le long d’un mur, mettre ses quatre pattes en équilibre sur le dessus d’un cône : autant d’activités qui ne servent à rien, qui relèvent a priori du conditionnement le plus « inutile » (et donc potentiellement répréhensible ou condamnable), et qui pourtant, pour certains chiens, participent de leur équilibre psychique et émotionnel. Certains chiens ont en effet besoin d’être énormément sollicités : pour eux, oui, le conditionnement est une obligation. Peut-être que la petite border collie aurait ainsi pu échapper à sa camisole médicamenteuse… Evidemment, on ne force personne à adopter un malinois de travail, mais si un jour on se retrouve avec un tel chien, nul doute que les deux heures de promenades quotidiennes ne lui suffiront pas : c’est inscrit dans ses gènes, il a besoin de travailler, d’être guidé, occupé.
 
Refuser tout conditionnement ?
 
Certes, l’on peut refuser toute idée de conditionnement. Pourquoi ? Par antispécisme, parce qu’on ne veut pas asseoir son pouvoir sur un animal. Par rejet de toute forme d’esclavage, ou en réaction aux dérives que l’on peut observer (et regretter) dans l’univers cynophile.
 
De surcroît, tous les conditionnements ne sont pas favorables à l’animal. L’on peut sans hésiter soutenir que dans la grande majorité des cas, les conditionnements intensifs ne font plaisir qu’au propriétaire. Mais comment le savoir ?
 
Tout d’abord en se posant des questions simples : qui aime quoi ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Mon chien a-t-il besoin de « ça » pour être heureux, épanoui, tranquille ? Puis en observant son chien durant l’entraînement. Il a tendance à s’ébrouer, à bâiller, à se gratter, à manger l’herbe ou à renfiler intempestivement ? Autant de signaux d’apaisement qui indiquent son niveau de stress. Dans ce cas, plutôt que de s’énerver, de penser « compétition » ou « que vont dire les autres ? », autant respecter son chien et arrêter là la séance, voire l’activité elle-même. Combien de propriétaires se demandent comment faire redescendre le stress de leur chien après un parcours d’agility ? Et bien peut-être tout simplement en ne faisant plus d’agility ! En lui préférant des activités plus calmes comme la course à pied, la randonnée, des parties de jeu avec des congénères… Si votre chien se réfugie dans son panier dès que vous mettez votre tenue d’entraînement, c’est sans aucun doute qu’il aimerait faire tout autre chose. Pourquoi ne l’écouteriez-vous pas ?
 
Enfin, à quoi faut-il veiller si l’on souhaite malgré tout conditionner son animal ? L’on devra évidemment opter pour des méthodes positives. Idéalement le clicker training, qui fait appel à l’intelligence de l’animal et le rend acteur de son conditionnement. Le chien va réfléchir, et cela va le fatiguer. L’on sait en effet qu’une heure d’activité mentale équivaut à trois heures d’activité physique*. Idéal par temps de pluie !
 
Marie Perrin
  • La domestication du chien est intervenue au Paléolithique
  • Lire à ce sujet le livre de Dominique Guillo, Des chiens et des humains
  • Source Joël Dehasse, Mon chien est heureux

vendredi 19 février 2016

Mordra, mordra pas ?

La dangerosité potentielle du chien de compagnie
 
Qu’est-ce qui fait qu’un chien est potentiellement dangereux ? Est-il possible de détecter d’éventuels signes avant-coureurs ? Voici quelques éléments de réponse et, surtout, de réflexion.
 
Titeuf n’est pas un pitbull, Titeuf n’est pas un chien de catégorie, Titeuf est un golden retriever mâle de 7 ans, un chien d’une de ces races qu’on décrit « gentilles avec les enfants, parfaites pour la vie de famille » (sic !). D’ailleurs, on lui donnerait le bon Dieu sans confession, avec sa bonne bouille, son air bonhomme, sa manière de vous regarder de ses beaux yeux tranquilles. Nul ne pourrait imaginer qu’en seulement quelques semaines, Titeuf a infligé plusieurs blessures très sévères. Sans prévenir, il a mordu (très fort) deux enfants et trois adultes. Sur l’échelle de Ian Dunbar, célèbre vétérinaire comportementaliste américain, Titeuf se situerait tout en haut de la dangerosité : il est sociable, tout le monde l’apprécie, personne ne se méfie de lui, mais quand il attaque, de manière extrêmement soudaine, il occasionne des dégâts sérieux.
 
Le cas de Titeuf suscite des questions. Notamment autour de la possibilité de savoir quel chien peut attaquer (et attaquer qui ?), et surtout avec quelle gravité. Il nous faut tout d’abord rappeler un fait : il n’existe à ce jour aucun test prédictif de dangerosité. Lorsque nous (les comportementalistes, ou les vétérinaires comportementalistes) sommes appelés pour évaluer un chien, c’est déjà trop tard : c’est qu’il a mordu. C’est certain qu’il serait beaucoup plus confortable de pouvoir agir en amont… Mais comment ?
 
Un peu de bon sens…
 
En premier lieu, en faisant appel à son bon sens. Quitte à enfoncer des portes ouvertes, il faut dire et redire qu’un chien est un chien, pas une sorte d’humain à qui il ne manquerait que la parole. Or, l’une des spécificités du chien, c’est sa mâchoire, puissante, avec laquelle il communique, se bat, se défend, prédate, tue, mange. Ses dents sont taillées pour infliger des dégâts, ses muscles crâniaux lui permettant de développer la pleine puissance de ses armes. Tout chien est susceptible un jour ou l’autre de mordre, et donc de blesser. Néanmoins, idéalement, le chien devrait savoir inhiber sa morsure : celle-ci devrait donc être brève, « sèche » et unique.
 
La morsure inhibée, un fondamental canin
 
Auto-contrôle fondamental, la morsure inhibée s’apprend entre chiots, par le jeu du mordeur-mordu. Oui mais… Malheureusement, tant de paramètre peuvent venir interférer et modifier la règle…
Par exemple la peur, ou la douleur, qui tronquent la phase de menace et peuvent pousser le chien à enfoncer ses crocs profondément, parce qu’il a très mal ou qu’il se sent menacé de mort. Ou l’instrumentalisation, laquelle peut être induite par l’humain (travail au mordant), ou découler d’un apprentissage fait par le chien – on me dérangeait, j’ai mordu, j’ai fait reculer ce qui m’ennuyait, donc je vais reproduire ce comportement puisqu’il m’apporte satisfaction… j’ai menacé, on ne m’a pas écouté, donc j’ai mordu, et comme j’ai enfin eu satisfaction, je vais reproduire la morsure. Pas la peine de menacer, ça ne sert à rien… Savoir ce qu’est un chien (avoir des notions en éthologie canine) est par conséquent l’une des clés pour anticiper les situations potentiellement dangereuses.
 
Parmi les situations à risque, l’on peut également citer les bandes de chiens. Nul besoin d’être devin pour se douter que dix chiens qui écument la campagne ensemble risquent de s’adonner à des activités hautement délictueuses, chacun, tel les membres d’une super équipe de foot, mettant ses capacités personnelles au service du groupe et de l’objectif (par exemple prédater un enfant). Sans compter la facilitation sociale qui naît de tels rassemblements – l’activité d’un chien se propage aux autres membres du groupe.
 
L’impact des méthodes éducatives
 
Enfin l’on ne serait pas complet sans évoquer les méthodes éducatives. L’on sait aujourd’hui que les méthodes coercitives, la violence, ont un impact délétère : 25% des chiens dressés à la dure vont développer des conduites agressives… Stanley Coren souligne que les punitions physiques, les « coups de sonnette », les cris, les colliers électriques ou à la citronnelle, les pistolets à eau ou les clôtures électriques augmentent de presque trois fois le risque d’une agression contre un membre de la famille, et de plus de deux fois le risque d’agression contre un inconnu qui pénètre sur l’espace de vie du chien.
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le collier torquatus, l'un des outils de torture pour chien...
Connaître, respecter et anticiper
 
Pour prévenir les morsures, rien ne vaut cette sainte triade : connaître, respecter, anticiper.
Connaître : chacun devrait connaître son chien, son tempérament, sa personnalité. Pour certains chiens, la nourriture c’est sacré. D’autres sont ronchons quand on les bouscule, ne supportent pas d’être réveillés en pleine sieste, détestent qu’on empiète sur leur espace vital.  Connaître son chien, ses susceptibilités notamment, va vous permettre de respecter, mais aussi d’anticiper. Si l’on vous hurle de loin, dans la rue, qu’il faut que vous remettiez votre chien en laisse, c’est peut-être tout simplement parce que le chien d’en face, pour X ou Y raison, est réactif : ce propriétaire responsable connaît son chien, et vous demande de rattacher le vôtre en anticipation, pour éviter tout accident. A vous de respecter cette requête… Et si votre chien grogne, c’est qu’il se sent menacé, ou qu’il est irrité : il vous prévient, vous demande de cesser de l’importuner, et n’a pas très envie de passer à l’acte. Si vous ignorez cette étape, vous allez le forcer à vous mordre… Un chien qui grogne prévient : cela doit être entendu et respecté.
 
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La menace : parfaitement compréhensible entre chiens (crédit photo Céline RIVAULT)
Ne pas trop demander à son chien…
 
Certaines personnes veulent que leur chien soit capable de tout tolérer. Il doit « aimer » les enfants, rester placide quand on lui tombe dessus, ne pas défendre le gâteau qui vient de rouler au sol sous sa truffe, se laisser tirer les poils et les pattes, ne pas se défendre quand on l’accule dans un coin ou sous une table. Très franchement ? Il est impossible de prédire que même le plus vaillant et le plus bienveillant des Médor va tout supporter, tout le temps, parce qu’on l’aura entraîné à ça. Oui, la légitime défense dans le monde des chiens, ça existe ! Et oui, un chien aussi a ses humeurs. On ne peut pas lui demander d’être tout le temps souriant, tout le temps grand seigneur. Un jour, vieillissant, malade, ou tout simplement arrivé à saturation, ce chien si bien éduqué, que l’on pensait capable de tout encaisser, va se révolter… et attaquer !
 
Ainsi, ce qui fait l’éventuelle dangerosité du chien de compagnie, ce sont souvent les situations : provoquer le chien, ne pas respecter sa menace, le pousser dans ses retranchements, autant de conduites à risque. Tout chien est potentiellement dangereux : parce qu’il a une mâchoire certes (nous l’avons vu), mais surtout parce qu’il a des propriétaires, et que ceux-ci ne sont toujours respectueux de ses émotions et du bien vivre ensemble.
 
Enfin, dans la cohabitation avec un chien, intervient aussi la notion de personnes à risque. Les enfants notamment, ou les personnes âgées, ou certaines situations de handicap. Autant de vulnérabilités à prendre en considération. Pour anticiper afin qu’il ne se passe rien de préjudiciable…
 
Des profils plus problématiques…
 
Du côté du chien lui-même, des éléments doivent alerter : de mauvaises conditions de développement précoces, une génétique défaillante, une mauvaise socialisation et familiarisation à l’élevage (ou chez le propriétaire), autant de « mauvais points » pour le chien. Certains profils émotionnels également, comme un tempérament «hyper». Les «hyper» ne savent pas s’arrêter et ne tolèrent pas la frustration. Ils n’ont pas de phase d’arrêt. Ainsi Flip, ce caniche joueur, si joueur, tellement joueur, juvénile et sympathique (selon ses propriétaires), toujours à fond à fond… Tellement que quand un autre chien lui dit « stop, je ne veux plus », ou « ça va trop fort pour moi, j’ai peur », Flip s’énerve, entre dans des crises de rage et se bat avec férocité.
 
Des races plus dangereuses ?
 
C’est un débat houleux, auquel il est bien difficile de contribuer intelligemment. Certaines races ont été créées, puis sélectionnées pour des tâches bien précises. L’akita inu par exemple pour ses aptitudes à la chasse et au combat. Est-ce à dire qu’un akita inu ne s’entendra jamais avec des congénères du même sexe ? Qu’il développera inévitablement une certaine agressivité ? L’on ne peut évidemment pas trancher de manière aussi péremptoire.
 
Ainsi, si les spécificités des races doivent être prises en considération par les futurs propriétaires, le choix des lignée-géniteurs-éleveur est primordial. Tout comme les démarches entreprises par le propriétaire pour donner à son chien des conditions de vie et de développement optimales – fréquenter une école des chiots pour la morsure inhibée par exemple.
 
Evaluation en post-morsure
 
En post-morsure, l’examen minutieux des circonstances de la conduite agressive, de la séquence comportementale, et l’analyse du profil du chien et de son cadre de vie s’ajoutent à une évaluation objective des blessures pour dresser un tableau le plus complet possible. Ainsi, arrivé au terme de l’évaluation, l’on peut dire si, oui ou non, ce chien mordeur et dangereux, et prendre les mesures qui s’imposent.
 
Ian Dunbar divise les chiens en quatre catégories, selon leur sociabilité et leur inhibition de la morsure. Le plus dangereux de tous, évidemment, c’est notre fameux Titeuf, le bon père aux accès agressifs soudains et incontrôlés. Peut-être Titeuf a-t-il mal ? Peut-être, en bon golden, a-t-il été trop sollicité, sensibilisé à force de manipulations et de contraintes ? Dans tous les cas, en raison même des blessures qu’il inflige, Titeuf est dangereux, et doit être appréhendé avec beaucoup de tact et de rigueur (au minium).
 
Les Titeuf ne sont pas l’exception, néanmoins, au gré des consultations, l’on voit tant de situations à risque qui pourtant ne dégénèrent pas… que l’on finit par comprendre que dans leur grande majorité, nos chiens sont de très braves animaux… car oui, au regard de la vie que nous leur faisons souvent mener, des contraintes (énormes) qui pèsent sur eux, nous pouvons l’affirmer : nos chiens sont d’une infinie patience !
 
Marie Perrin
 
 

lundi 23 novembre 2015

Un chien est mort…

Dans son édito du 19 novembre 2015*, un journaliste s’est insurgé contre les messages qui fleurissaient en hommage à Diesel, la chienne tombée pour la France durant l’assaut du raid à Saint-Denis. Autant de compassion pour un simple chien ? Mais où va la France, si ses citoyens osent mettre sur le même plan un animal et des êtres humains ? Elle va peut-être vers plus d’humanité justement, allez savoir…
Diesel, chienne malinoise de 7 ans, est morte le 16 décembre, tuée par des terroristes. Elle devait prendre sa retraite au printemps. L’émotion s’est aussitôt emparée de la Toile, en France et à l’étranger, à la hauteur du voile d’effroi et de douleur jeté sur le monde le soir du 13 novembre 2015. La voix dissonante de ce journaliste est venue briser le bel élan, et inciter à s’interroger.
Changer notre regard sur nous-mêmes
Car oui, pour oser mettre sur le même plan un animal et un être humain, il faut préalablement avoir pensé. Cogité. Réfléchi. Philosophé. Décortiqué notre pauvre humanité. Avoir accepté de n’être plus la mesure de toute chose, de n’être plus que des petits instants de passage dans un univers qui nous dépasse et nous dévore. Avoir accepté de ne plus nous regarder comme des déités, ou comme le nombril du monde. Effectivement, quand on n’a pas pris la peine de réfléchir à la cause animale, alors oui, l’on peut s’insurger, en toute bonne conscience et toute bonne foi. Et refuser de pleurer un chien tombé en héros comme l’on pleure un soldat tombé au front.
C’est alors que surgissent bien d’autres questions, en chaîne… Pleurer un chien oui, mais pourquoi pas un canard, un lapin, un veau, un saumon ? Pourquoi cette invisible (et si solide) barrière entre ceux que l’on choie, que l’on aime, que l’on respecte, que l’on défend, que l’on enterre, et tous les autres, les invisibles, animaux de batterie, d’abattoir, de laboratoires ? Parmi tous les internautes qui ont relayé la mort de Diesel, combien ont poussé la réflexion jusqu’à pleurer pour le morceau d’animal qu’ils allaient mettre dans leur assiette le soir ? Temps de crise oblige, ils ont peut-être même cherché la meilleure offre de supermarché avant de s’acheter leur steak ou leur tranche de jambon. Sans s’émouvoir du sort de cette pauvre bête, qui a grandi et vécu dans des conditions effroyables, parfois sans jamais voir la lumière du jour, puis a été abattue sous les coups, sous les cris, dans la peur et la souffrance aseptisées.
Aimer les uns pour exploiter les autres
Jean-Pierre Digard, dans « La Plus Belle Histoire des animaux », postule que les êtres humains des sociétés contemporaines occidentales surinvestissent leurs animaux domestiques à l’exact opposé de la manière dont ils maltraitent leurs animaux de rente. Comme les deux versants d’une même réalité, ubac et adret se rejoignant sur un point : l’outrance des deux positions. Nous aimons nos chiens et nos chats avec une passion qui, croyons-nous, nous permet de nous racheter de tout le reste : la réalité des fermes intensives, des abattoirs, de la sélection génétique, du clonage, de la maltraitance industrialisée, dans le secret du «Silence des bêtes», comme l’écrit Elisabeth de Fontenay.
Cette philosophe française, fille d’un grand résistant, a publié plusieurs ouvrages consacrés à la condition animale et aux rapports entre les humains et les animaux. Sans craindre de s’attirer les foudres, de manière aussi magistrale que magnifique, elle met ainsi en parallèle les pratiques de l’industrie agro-alimentaire (l’on pourrait ajouter pharmaceutique) et l’abjection de la Shoah. Laissons-la parler, sa prose est si belle…
Oui, les pratiques d'élevage et de mise à mort industrielles des bêtes peuvent rappeler les camps de concentration et même d'extermination, mais à une seule condition : que l'on ait préalablement reconnu un caractère de singularité à la destruction des Juifs d'Europe, ce qui donne pour tâche de transformer l'expression figée « comme des brebis à l'abattoir » en une métaphore vive. Car ce n'est pas faire preuve de manquement à l'humain que de conduire une critique de la métaphysique humaniste, subjectiviste et prédatrice. (« Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité »)
 
On sait que la grande majorité de ceux qui, descendant des trains, se retrouvaient sur les rampes des camps d'extermination ne parlait pas allemand, ne comprenait rien à ces mots qui ne leur étaient pas adressés comme une parole humaine, mais qui s'abattaient sur eux dans la rage et les hurlements. Or, subir une langue qui n'est plus faite de mots mais seulement de cris de haine et qui n'exprime rien d'autre que le pouvoir infini de la terreur, le paroxysme de l'intelligibilité meurtrière, n'est-ce-pas précisément le sort que connaissent tant et tant d'animaux ? (« Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité »)
 
T’es vegan, t’es hype !
Ces dernières années pourtant, des voix s’élèvent. De plus en plus nombreuses. Les temps changent. Naguère, être végétarien n’était pas très bien vu. Un végétarien ? C’était un empêcheur de manger en rond, un ascète qui ne se nourrissait pas par plaisir mais pour survivre, de préférence de graines germées et autres fadaises bio-sectaires. Aujourd’hui, les vegan ont le vent en poupe. T’es vegan, t’es hype !
Parallèlement, la liste des personnalités qui s’engagent aux côtés des défenseurs des animaux s’allonge. En 2013, 24 intellectuels signent ainsi un manifeste pour un changement du statut juridique des animaux. Parmi eux Boris Cyrulnik, Mathieu Ricard ou Luc Ferry. Et si l’on peut encore contester que les animaux puissent avoir des droits, l’on ne peut plus, aujourd’hui, nier une réalité : nous avons des devoirs envers eux. Plus la recherche en éthologie avance, plus l’on se rend compte des incroyables capacités de nos amies les bêtes. Altruisme chez les grands singes, conscience de la mort chez les éléphants, incroyables aptitudes sociales chez les corbeaux, dialectes de groupe chez les mammifères marins, et tant d’autres encore que l’on pourrait citer ou qui restent à découvrir…
Oui, les temps changent…
De toute façon, même sans ces découvertes scientifiques, l’humilité et la morale les plus élémentaires ne nous enjoignent-elle pas de protéger le vivant, quel qu’il soit, dans toute son altérité et dans toute sa spécificité ? Je ne suis pas une orque, je ne sais peut-être pas grand-chose de la vie intime des orques, mais il n’empêche que rien, absolument rien, ne m’autorise à la traiter comme un objet, à l’enfermer, à l’exhiber, à la priver de ses courses au long cours et de ses chants à plusieurs voix en compagnie de ses semblables, dans l’immensité des océans. Alors oui, les temps changent, cirque sans animaux, remise en cause des parcs zoologiques, combats de plus en plus respectés et pris au sérieux de groupes comme L214 ou Code animal, mais la route sera encore longue jusqu’à l’apaisement et la réconciliation.
A la télévision, les documentaires se multiplient, questionnant le sort que l’on réserve aux animaux. Ainsi, ce lundi 23 novembre, «L’animal est une personne», sur France 3, dont la diffusion sera suivie d’un débat. La télévision, écho des grands mouvements qui agitent et traversent la société, la conscience collective. L’antispécisme nous le dit depuis longtemps, mais nous nous bouchions les oreilles. Nous ne voulions ni voir, ni entendre, ni penser. Né dans les années 1970, l’antispécisme refuse la domination et la discrimination au nom de l’espèce. « La Libération animale» de Peter Singer signe le manifeste du mouvement. Aucune espère ne saurait être utilisée ou exploitée par l’être humain, les antispécistes sont donc tout naturellement vegans, c’est-à-dire qu’ils ne consomment aucun produit d’origine animale ou ayant nécessité l’exploitation d’un animal (alimentation, vêtements, cosmétiques). Bien au-delà, surgissent toutes les questions autour du propre de l’homme, de l’utilisation même du terme « animal » ou « animalité », que des philosophes ont à leur tour creusée, à l’instar de Jacques Derrida, par exemple.
Alors non, au regard de tout ceci, Diesel n’est pas le «symptôme de notre faiblesse» comme le dit ce journaliste de « L’Union ». Diesel était un animal sensible, une chienne douée de sensations et de sentiments, qui a été tuée pour une guerre qui ne la concernait pas. Une chienne, utilisée comme tant d’autres, chiens bien sûr, mais aussi chevaux, dauphins, oiseaux, pour servir la folie des hommes. La mort de Diesel doit nous inciter à réfléchir sur notre place au sein de la Création et à entrer en résistance pour respecter et protéger nos frères et sœurs à poils, à plumes, à écailles, où qu’ils se trouvent, et quels qu’ils soient.
Marie Perrin
  • Sébastien Lacroix, «Diesel, symptôme de notre faiblesse», L’Union du 19 novembre 2015.

mercredi 28 octobre 2015

Le "animal hoarding", une terrible réalité

Syndrome de Noé ou « animal hoarding » : cette collectionnite d’un genre un peu particulier désigne l’accumulation d’êtres vivants. Régulièrement, les journaux relatent des affaires de maltraitances animales graves qui relèvent de cette pathologie mentale. Gros plan.

Des dizaines de chiens ou de chats entassés dans des deux-pièces, dans la plus totale insalubrité. Des lapins, des cochons d’Inde, des canards ou des serpents en trop grand nombre, dans le noir d’une cave ou la crasse d’une maison pestilentielle. Lorsque les associations ou les autorités interviennent, il est souvent trop tard : parfois alertés par des voisins, les enquêteurs découvrent des logements dévastés. Et des animaux en très grande souffrance.

Une maltraitance passive

Le schéma de ces affaires varie peu : les propriétaires ne voulaient que le bien de leurs animaux, ils ont été emportés par leur passion, ils n’ont pas su dire non. Manque d’argent, détérioration des habitations, bientôt la situation leur a échappé, s’est retrouvée hors contrôle. Ils étaient dépressifs, ne se sont pas rendu compte. A l’instar des personnes souffrant d’addiction, ils sont dans le déni, pensant « que tout est parfaitement normal ». Ils ont 50 chats ? Peut-être, mais personne ne peut les aimer autant qu’eux. Et peu importe si leurs chats sont stressés, malades, mourants…

Ce qui compte dans cette affection, ce n’est pas tant le nombre d’animaux détenus que la capacité du « propriétaire » à les soigner tous convenablement. Une personne atteinte du syndrome de Noé ne peut tout simplement pas subvenir aux besoins (physiques et psychiques) de ses animaux. Elle s’isole, se replie sur son univers. Sa collectionnite peut fonctionner un temps, puis un grain de sable vient gripper la mécanique, et tout s’effrite. Dépassé, débordé, le malade s’enfonce, entraînant ses animaux dans sa chute.

D’effroyables affaires vécues…

Quelques affaires vécues me reviennent en mémoire, du temps où j’intervenais sur le terrain avec Le Refuge de l’arche de Noé, association de protection des animaux de rente basée dans le Bas-Rhin, près de Strasbourg. La toute première nous a emmenés dans les Vosges, dans un tout petit village où « sévissait » une dame âgée, d’origine allemande. L’association avait été prévenue par des chasseurs du secteur, qui s’inquiétaient de trouver des cadavres de chevaux dans la forêt. Des carcasses d’équidés enterrées dans l’épais fumier, des chiens infestés de parasites au point que l’un d’eux avait dû être euthanasié, des animaux ensauvagés, qu’il avait été bien difficile d’attraper et de transporter : sur place, la situation était terrible. En Allemagne, cette « Cruella des Vosges », comme elle allait être surnommée lors de son procès, n’avait plus l’autorisation de posséder le moindre animal de compagnie, fût-il poisson rouge. Elle avait donc franchi la frontière, et poursuivait ses funestes activités en France.

A bien d’autres reprises, par la suite, Le Refuge de l’Arche de Noé a été confronté à des situations similaires. Comme cet aviculteur que la mort de sa maman avait fait « dérailler »… Nous avons sorti les cadavres de lapins et de volailles sur des brouettes, par dizaines. Les rescapés ont été rapatriés dans les locaux de l’Arche, soignés puis placés en familles. Ces « entassements » d’animaux, au mépris de la loi, de la logique, de tout bon sens, sont finalement assez courants. L’on s’en aperçoit vite quand on commence à s’implique dans la protection animale.

Les « animal hoarders » : quel profil ?

D’après une étude menée au Québec par les services sociaux et de santé, le profil des personnes souffrant d’animal hoarding serait le suivant : à 75% des femmes, seules, possédant en moyenne 39 animaux. Les espèces concernées seraient à 81% les chats, à 55% les chiens, à 17% les oiseaux, les petits mammifères, bétail, chevaux et reptiles se partageant le reste*. Pour certains auteurs, il s’agirait d’une forme de TOC (troubles obsessionnels compulsifs), lesquels toucheraient environ 2% de la population. S’il ne s’agit évidemment pas d’un problème majeur de santé publique, le « syndrome d’hébergement d’innombrables animaux» (tel que nommé en Belgique) n’en reste pas moins une terrible réalité, dont il faut parler quand on aime les animaux et qu’on se soucie de leur bien-être.

Marie Perrin

 


 

Pour aller plus loin :

ð  Une vidéo, dans laquelle un bénévole de la SPA pointe fort justement du doigt les carences psychologiques subies par des chiots nés dans de telles conditions…


ð  Une vidéo réalisée par la SPA de Besançon :


ð  Une autre vidéo, d’un couple qui « collectionne » les chats :


ð  Un article paru dans le «Huffington Post» :


ð  Un article d’«Ouest France» sur le syndrome de Diogène, apparenté au syndrome de Noé mais concernant les objets :


ð  Enfin, un numéro de Xenius, l’émission d’Arte, consacré à la syllogomanie :


 

 

 

 

 

 

lundi 19 octobre 2015

CEC-VA

Les Centres d’Education Canine agréés par Vox Animae sont un gage de garantie et de qualité pour les clients qui y participent avec leurs chiens.


Le premier centre mené par Zita Nagy et Marie Perrin a ouvert en région strasbourgeoise en mai 2014.
 
Si vous faites appel à nos services, vous avez la garantie de vous adresser à une professionnelle à votre écoute, capable de vous conseiller sur l’éducation de votre animal, tout en respectant vos émotions et celles de votre chien.


CEC, donc Compétence – Ethique – Confiance

  • Une formation solide, des connaissances réactualisées au fil des avancées scientifiques et des expériences qui s’enrichissent grâce aux échanges entre professionnels : c’est en nous tenant informés et mobilisés que nous pouvons vous offrir le meilleur.
  • Votre bien-être et celui de votre chien sont au centre de nos préoccupations. Ainsi, nos pratiques seront toujours bienveillantes. Nous veillerons à toujours respecter les émotions et l’équilibre psychologique des animaux et des personnes avec lesquelles nous travaillerons.
  • La confiance est au centre de nos relations : entre vous et votre chien – pour vivre une relation harmonieuse, entre votre chien et nous – pour faciliter les apprentissages,  et entre vous et nous – pour un accompagnement réussi. Nous mettrons tout en oeuvre pour créer et conserver ce lien.

De quoi s’agit-il ?

Le professionnel qui propose des séances d’éducation canine, en séances individuelles et/ou collectives, a été formé chez Vox Animae, et défend des valeurs fortes de respect et de bienveillance dans l’entraînement des chiens de famille.
 
Le CEC-VA applique la charte du réseau Vox Animae, et s’engage dans une déontologie et une approche irréprochables.

Que gagne le client ?

Le particulier qui fait confiance au Centre d’Education Canine agréé Vox Animae a l’assurance que son chien ne sera jamais malmené.
 
Il sait qu’il va bénéficier de conseils et d’expertises de professionnels reconnus par Vox Animae.

Où sont les autres CEC-VA ?

Amandine Rolet (Tabaki and Co) ouvre son CEC-VA en Auvergne le 1er Novembre 2015.
 
D’autres CEC-VA verront bientôt le jour!

mercredi 7 octobre 2015

Le rappel : indispensable, et pourtant si problématique

« Je voudrais tant le lâcher, mais il ne revient pas au rappel ». Combien d’éducateurs n’ont pas entendu cette phrase ? Chargée de désarroi et de culpabilité souvent, puisque bien sûr, le chien du voisin court tout le temps librement dans les champs, avec un rappel évidemment infaillible… Alors quelles solutions proposer et, surtout, pour quels résultats ? Gros plan.
 
Ils se tiennent là tous les deux, presque penauds, avec leur petit jack frétillant en bout de laisse. Espérant que l’éducateur dont ils ont poussé la porte saura régler ce problème qui leur gâche la vie. Leur petit Hannibal aime tant gambader à son rythme, il est si tonique, il a tellement besoin de bouger. Mais voilà, il refuse de revenir quand on le lui demande… Que faire, et comment ?
 
Le rappel pas à pas 
 
Idéalement, le rappel devrait être inculqué au chiot dès son arrivée dans la maison. Un petit chiot de deux mois n’est pas bien difficile à faire revenir. Autant en profiter, surtout qu’on peut généralement le lâcher en extérieur, il ne s’éloigne encore guère de ses maîtres. Il faut aussi prendre l’habitude de rappeler le chien chez soi, à la maison, dans son jardin, à chaque fois qu’on en a envie. Sans oublier, évidemment, de le récompenser quand il obtempère : une friandise, un jeu de balle, une caresse, un « c’est bien » d’une voix douce et enjouée.
 
Une des règles premières, c’est de ne pas rappeler le chiot pour l’attacher. Il fera vite l’association « je reviens, on m’attache ». Rappelez-le, récompensez-le, gardez-le avec vous quelques secondes, puis laissez-le repartir sur ordre. Vous pouvez également le remettre de temps en temps à la laisse sur quelques mètres, sans oublier, lorsque vous accrochez le mousqueton à son collier ou à son harnais, de lui donner une récompense, toujours dans l’optique d’une association positive (remise en laisse = élément agréable).
 
 
Une friandise pour la remise en laisse
 

Si votre chiot, ou votre chien, rechigne à revenir, que vous êtes obligé d’aller le chercher, ne cédez pas à la tentation de l’énervement. Vous ne feriez qu’hypothéquer votre prochaine tentative de rappel. Marquez l’échec d’un « tant pis », remettez Médor à la laisse et dites-vous que vous ferez mieux demain. Enfin, si vous vous êtes époumoné durant dix minutes et qu’enfin, il daigne revenir vers vous, ne vous fâchez pas. Respirez fort, calmez-vous, et récompensez le quand même. N’oubliez pas qu’il aurait aussi pu ne pas revenir du tout !
 
Enfin, soyez toujours congruents : votre gestuelle, votre voix, votre intonation, tout votre langage non verbal doit appuyer votre « viens ». Si Médor sent de la colère ou de la peur dans votre voix, si votre langage corporel n’est pas adapté à votre demande verbale, il ne reviendra pas.
 
Les roues de secours du rappel
 
Un bon éducateur vous donnera des clés pour contourner les échecs de rappel. L’on peut ainsi partir bruyamment dans le sens inverse de la promenade, éventuellement même se cacher. L’on peut d’ailleurs pratiquer cet exercice de se cacher de temps en temps, afin que le chien prenne l’habitude de ne pas perdre son propriétaire de vue. La peur de l’abandon, la soudaine solitude, peuvent avoir raison de certains récalcitrants !
 
Attention au conflit de motivations.
 
Si votre chien est en train de jouer avec un autre chien, qu’ils sont en pleine partie de course-poursuite échevelée, votre rappel se soldera très certainement par un « flop » retentissant. C’est logique : sur une échelle de motivation, le jeu avec le copain est situé bien plus haut que vous et votre friandise. On peut évidemment rappeler un chien qui s’ébat avec des congénères, mais cela nécessite préalablement un apprentissage patient et minutieux.
 
Pareillement, un chien qui renifle une odeur, ou qui prend une piste de gibier, ne vous entend pas. Il n’est pas têtu ou de mauvaise volonté, il est juste tout entier dans sa truffe, et forcément absent à toute autre sollicitation de son environnement. S’il est absorbé par la trace olfactive laissée par un autre chien, attendez qu’il relève la tête pour le rappeler.
 
Pour contourner ces conflits de motivation, vous devez commencer à travailler le rappel chez vous, à l’intérieur de votre habitation. Vous et votre friandise serez alors plus importants que tout le reste. Puis sortez dans votre jardin, dans un parc, dans les champs, mais à chaque fois sans autre motivation que vous, et votre morceau de saucisse à l’ail ou votre balle « pouic-pouic ». Puis élevez votre niveau de difficulté : faites-vous aider par d’autres propriétaires de chiens. Apprenez à Médor à revenir vers vous quand il joue avec un autre être humain, ou avec un autre chien. Et surtout, allez au rythme de votre chien, sans brûler les étapes. Ces apprentissages sont possibles, mais ne coulent pas de source : il vous faudra être patient et organisé. N’hésitez pas à vous faire aider !

 
Les limites de chaque chien.
 
Au-delà de l’éventuel conflit de motivations, chaque chien a ses propres limites. Un éducateur qui vous promet que votre chien reviendra en toute circonstance vous ment. C’est tout simplement impossible à garantir. Certains chiens reviendront vers leur maître tout le temps, quoi qu’il se passe. D’autres non, quelle que soit la peine qu’on se donne. Pour certains, la vue du chevreuil ou du lièvre sera toujours plus intéressante que le propriétaire. L’important, pour un rappel réussi, c’est d’apprendre à connaître son chien, sans vouloir qu’il ressemble au chien qu’on avait avant, ou au chien du meilleur ami « qui obéit si bien et revient au doigt et à l’œil ». Il faut savoir dans quels environnements on peut le lâcher, et dans quels environnements il vaut mieux le laisser à la laisse, quitte à compenser en rallongeant la promenade d’une demi-heure et en jouant encore un peu dans le jardin au retour.
 
De la relation au rappel.

 
Enfin, un rappel réussi signifie très souvent une relation maître-chien de bonne qualité. Si Médor modifie à sa guise vos comportements, obtient toutes les caresses qu’il veut quand il veut, joue avec vous quand il en a envie, n’espérez pas qu’à l’extérieur, il reviendra quand vous l’appelez. Vous lui obéissez dans votre vie quotidienne, ce n’est pas au milieu de tous les stimuli du grand air qu’il va soudain vous reconnaître comme son leader.
 
Le petit Hannibal dont il est question au début de l’article avait ainsi l’habitude d’obtenir tout ce qu’il voulait de ses maîtres : avec la mise en place de stratégies adaptées à la situation, tout est rentré en ordre. Derrière les problèmes de rappel peuvent donc se cacher d’autres soucis relationnels, qu’un bon éducateur ou comportementaliste saura décrypter afin de mettre en place les solutions adéquates.
 

Marie Perrin

mardi 6 octobre 2015

L’apprentissage vicariant selon Ambra

Vous ai-je déjà parlé d’Ambra ? Non ? Alors il faut absolument que je vous la présente, car elle est le principal sujet de mon présent article : l’apprentissage vicariant, ou apprentissage par observation et imitation*.
 
Ambra est une petite femelle de race chien-loup tchécoslovaque  que j’ai adoptée il y a bientôt deux ans. Un jeudi de décembre, le 18 pour être précise, ma meilleure amie et moi-même sommes parties tôt le matin en direction du Nord de la France. Nous avons roulé de longues heures dans un épais brouillard jusqu’à la campagne ardennaise, où nous attendait Ambra, retraitée d’élevage de sept ans. Petite femelle abîmée par la vie, pour laquelle j’avais eu deux semaines plus tôt une sorte de coup de foudre… 
Ambra n’avait pas eu une existence facile. Elle n’avait pas connu grand-chose hormis les box et les chenils, elle n’était pas en très bon état, ni en très bonne santé, et surtout elle présentait un fort potentiel agressif envers ses congénères. Il se trouve que les conduites agressives canine, je m’en fiche un peu. Séparer définitivement des chiens qui ne s’entendent pas (avec toute la logistique que cela implique), gérer d’éventuels conflits, ça ne me fait pas peur et surtout, ça ne me dérange pas.
Ambra est donc entrée dans ma vie. Et dès le début, je me suis promis qu’avec elle, ce serait « no conditionnement ». Ambra allait rester telle qu’en elle-même : une sauvageonne ! Comme on me l’avait décrite très agressive, et qu’effectivement j’avais constaté qu’elle avait la colère (et surtout la peur) facile, immédiatement sur la défensive, j’ai attendu avant de la mettre au contact de congénères. Quand j’allais au club canin le dimanche matin et le lundi soir, elle restait dans le camion. Tranquillement installée dans sa boîte de transport, elle regardait attentivement tout ce qui se passait sur le terrain, n’en perdant pas une miette… Des jeux, des interactions positives, des courses-poursuites, des rapports de force, parfois des ajustements « virils » et des conflits. Quelques bagarres aussi, évidemment, mais sans commune mesure avec celles qu’elle avait connues les sept premières années.
Rien de menaçant ni de dangereux…
Peu à peu, Ambra a pu se rendre compte que sur ce terrain, tout se passait globalement bien, malgré le nombre de chiens lâchés en même temps, de 20 à 35 selon les dimanches, de toutes tailles, tous âges, toutes races. Elle a vu que les chiens entre eux, loin de ce qu’elle avait jusqu’alors expérimenté, nouaient des relations pacifiques et ludiques, qu’ils s’adonnaient à des explications parfois, mais jamais jusqu’à l’ultime limite. Rien de menaçant ni de dangereux en somme.
 
Crédit photo : Hervé VEES
 
Et c’est ainsi qu’un jour, après l’avoir progressivement mise au contact de chiens équilibrés, après avoir constaté que tout se passait bien, qu’elle communiquait bien et ne cherchait pas à tout prix les rapports de force, Ambra a eu droit au grand bain : un lâcher collectif ! Vous pourrez regarder la vidéo de cette première fois (en fin d’article), elle parle d’elle-même… Je suis absolument convaincue que rien n’aurait été possible sans ces semaines, ces mois d’observation, depuis son antre protectrice, des autres chiens jouant, courant, travaillant ensemble, sans heurts.
Au petit jeu de l’apprentissage vicariant, Ambra est très douée
J’ai découvert par la suite qu’au petit jeu de l’apprentissage vicariant, Ambra était extrêmement douée. Ainsi, un soir, lors d’une séance privée, j’ai (comme cela m’arrive souvent), pris Ambra avec moi sur le terrain, à la laisse, pour expliquer à nos clients comment fonctionne, en pratique, le contre-conditionnement d’un chien réactif. A un moment, les propriétaires ont demandé à leur chien de s’asseoir. Et ô surprise, Ambra s’est elle aussi assise ! Je précise que je ne le lui ai jamais appris ! Elle avait simplement regardé les autres chiens travailler, dimanche après dimanche, lundi après lundi… Depuis, je vais de découverte en découverte. Ambra s’assied paisiblement quand mes autres chiens-loups se mettent assis en silence, attendant que je leur ouvre la porte du chenil (et Dieu sait qu’Ambra est remuante et bruyante !) Elle sait ouvrir la porte d’entrée depuis que Namasté, mon saarloos, le lui a montré. Et elle cueille les mûres dans le jardin, après m’avoir très attentivement regardée récolter les premiers fruits… Moralité : nous n’avons pas mangé de mûres cette année, elles ont toutes fini dans son estomac de barfeuse avertie !
Je me demande quelle sera la prochaine surprise d’Ambra… Ce qui est certain, c’est que je l’emmène en promenade seule, sans Namasté ni Véda : j’ai bien trop peur qu’elle ne découvre, au contact de mes deux prédateurs, que les lapins, les chevreuils ou les cygnes, qui n’éveillent pour l’instant chez elle qu'un intérêt modéré, sont en réalité de super chouettes proies, et qu’il pourrait être vraiment très rigolo de leur courir après en espérant un festin de gibier ! Je sais maintenant à quel point Ambra est douée pour apprendre par observation et imitation, ce qui m’incite à la plus extrême prudence !
Marie Perrin
* L’apprentissage vicariant, ou apprentissage social, postule qu’à côté de l’apprentissage direct, par expérimentation, existe une autre forme d’apprentissage, qui résulte de l’observation des congénères, de leurs actions et des conséquences de ces actions.
 
Une vidéo du premier lâcher collectif d'Ambra. Un grand merci à Raymond Fuchs pour cette magnifique vidéo...