Une fois de plus, Benji a ravagé la cuisine, vidé la poubelle, déchiqueté les emballages et tout éparpillé dans la pièce, de la table à la cuisinière. Une fois de plus, quand vous êtes rentré, il a pris cet air coupable qui vous fait dire qu’ « il sait bien qu’il a mal agi » ! Et si vous vous trompiez ? Décryptage en compagnie de spécialistes de la question.
Difficile de rester de marbre lorsqu’on rentre d’une dure journée de labeur et que l’appartement, naguère si bien rangé, ne ressemble plus qu’à un champ de bataille. Et que le coupable, Benji, une fois de plus, courbe l’échine, ploie les oreilles et, tête basse, rampe le long du mur comme pour supplier un hypothétique pardon. Souvent, c’est humain, les reproches pleuvent sur ce pauvre Benji qui, en dépit des apparences, ne comprend pas ce qui lui vaut cette soudaine ire. Plusieurs auteurs et spécialistes du chien se sont penchés sur cette notion de culpabilité, et ils sont unanimes : le chien ne peut pas se sentir coupable.
D'Alexandra Horowitz à Roger Abrantes
Alexandra Horowitz, dans son ouvrage « Dans la peau d’un chien », note : « Il serait bien étonnant que le mécanisme qui fait adopter à un chien un air coupable ou provocant soit le même que le nôtre. Après tout, le bien et le mal sont des concepts culturels. » Elle donne ainsi l’exemple du petit enfant qui a cassé un vase précieux : sait-il qu’il a mal agi ? Certainement pas, parce qu’il ne l’a pas fait exprès, et qu’il ne sait pas encore faire la différence entre le bien et le mal. Grâce à des expériences, la chercheuse a mis en évidence que, le chien apprenant par association, il perçoit très rapidement l’agacement ou la colère de son maître, et adopte une attitude qui, en langage corporel humain, signifie la culpabilité mais qui, en langage corporel canin, signifie l’apaisement, voire la peur.
Ainsi écrit-elle, toujours dans le même livre : « L’arrivée du maître est plus étroitement liée au châtiment que la mise à sac de la poubelle, quelques heures plus tôt. Ce sont ainsi la présence et le mécontentement du maître qui, dans la plupart des cas, font adopter aux chiens une posture de soumission – que l’on interprète comme une attitude coupable […] On aurait ici tort d’affirmer que le chien a conscience de son méfait. L’animal ne conçoit pas son comportement comme mauvais. » En fait, « l’animal sait anticiper un châtiment lorsqu’il lit la contrariété sur le visage de son maître. En revanche, il ignore tout de sa culpabilité. Il sait qu’il doit se méfier de [son maître], c’est tout »*.
Dominique Guillo tient à peu près le même discours lorsqu’il soutient que « La jalousie telle qu’elle s’exprime chez le chien qui vient se manifester bruyamment à l’attention de son maître lorsque celui-ci caresse un autre chien, ou encore la culpabilité qui se manifeste chez un chien ayant détruit une partie du mobilier en l’absence de ses propriétaires peuvent donc être considérées comme identiques, au plan fonctionnel, aux sentiments et aux expressions désignés par les mêmes mots chez l’homme. Leur existence tient à leurs effets, c’est-à-dire au fait qu’elles consistent en stratégies qui ont une même signification et une même efficacité dans une circonstance sociale particulière – amadouer ou susciter la pitié, entre autres, pour la culpabilité. Simplement, les mécanismes neurophysiologiques et psychologiques à travers lesquels ces fonctions sont accomplies sont bien différentes dans nos deux espèces, comme le suggère le fait que le chien manifeste autant de culpabilité lorsque son maître est responsable du désordre »**. Ceci a été mis en évidence par Franz de Waal grâce à une expérience menée sur une chienne de race husky, qu’il relate en 1966 dans son livre « Good Natured ».
Patrick Pageat souligne également dans « Pathologie du comportement du chien », que « malgré les intentions qu’on lui prête, [le chien] n’est aucunement désolé », ajoutant qu’« on aura reconnu, dans ces manifestations de culpabilité, des signaux d’apaisement qui ne peuvent que répondre aux signaux de menace émis inconsciemment par les propriétaires lorsqu’ils découvrent l’étendue des dégâts »***.
Enfin, Roger Abrantes écrit, en 1997 : « Quand un propriétaire décrit que son chien montre des signes de culpabilité – quand il a détruit quelque chose, par exemple -, il ne s’agit en réalité pas de culpabilité dans l’acception éthologique du terme. Il s’agit plutôt d’une réaction du chien à l’attitude du propriétaire : celui-ci suscite la soumission et la peur du chien, et ce comportement est confondu avec un acte conscient. Les chiens sont très sensibles aux attitudes de leurs propriétaires. Ainsi, si un propriétaire s’attend à ce que son chien ait détruit en son absence, il est fort probable que le chien prendra un air coupable dès qu’il rentrera chez lui. Evidemment, le chien ne se souvient pas qu’il a mâchonné les chaussures préférées de son maître, mais il a appris à anticiper la colère de son propriétaire. C’est la raison pour laquelle punir un chien après-coup n’a absolument aucun effet, sauf éventuellement à accroître le problème »****.
Pour rétablir son homéostasie sensorielle
L’on pourrait ainsi multiplier les extraits de livres signés de grands spécialistes du chien et de leur comportement, l’on retomberait toujours sur la même réalité : en l’absence d’études et d’expériences plus poussées, rien ne permet de penser que le chien ait la capacité de se sentir coupable, dans le sens où nous, humains, nous sentons coupables. Lorsqu’un chien s’adonne à des destructions, c’est pour rétablir son homéostasie sensorielle. Certains individus ne tolèrent pas la solitude, d’autres s’ennuient, d’autres enfin ont besoin de s’occuper car ils n’ont pas eu la possibilité de dépenser leur énergie. D’autres cherchent à mâchonner, leurs besoins oraux n’étant pas comblés par leurs propriétaires, tandis que d’autres ne supportent pas d’être séparés de leur être d’attachement. Enfin, certains chiens ont tout simplement fait l’apprentissage que dans la poubelle, ce restaurant gastronomique canin !, se trouvent des restes alimentaires fort appétissants... et disponibles d'un coup de patte et de croc !
Que faire lorsque vous rentrez et que Benji a tout saccagé ? Avant tout, vous calmer, aller le promener, et ranger hors de sa vue. Puis tenter de comprendre la raison de ces actes «délictueux» : Benji est-il trop attaché, trop exigeant, trop sollicitant ? A-t-il autant de promenades qu'il le voudrait ? A-t-il à disposition des jouets d'occupation ou des os à ronger ? Dans tous les cas, avant que la situation ne se dégrade trop, n'hésitez pas à prendre conseil auprès d'un comportementaliste. Lui seul peut décrypter la situation et, avec vous, mettre en place des stratégies adaptées.
Marie Perrin
* Alexandra Horowitez, «Dans la peau d’un chien», Champs Sciences, 2011, p.218-221.** Dominique Guillo, « Des chiens et des humains », Poche – Le Pommier, 2011, p.165.
*** Patrick Pageat, « Pathologie du comportement du chien », éditions du Point vétérinaire, 1988.
**** Roger Abrantes, « Dog language. An Encyclopedia of Canine Behaviour », Etats-Unis, Wakan Tanka Publishers, 1997, pages 77-78, article «Conscience» (traduction Marie Perrin)